MyEurop. Timochenko en prison: récit d'un procès pipé

Article publié sur le site de MyEurop, 11/10/2011

A l'issue d'un procès politique, Ioulia Timochenko a été condamnée à 7 ans de prison. Une double provocation de Kiev à Bruxelles et à Moscou. Cette lourde peine est un verdict "anti-russe" dénonce les Russes. Les Européens menacent Kiev de "graves conséquences" en l'absence d'une "procédure équitable".

Récit et analyse d'une journée sur haute tension de notre correspondant à Kiev.

La tension est à son comble sur l'avenue Khreshatyk, l'artère principale de la capitale ukrainienne Kiev. Et pour cause: au terme d'un long feuilleton mélodramatique, l'ancienne icône de la "Révolution orange" de 2004 et ex-premier ministre, Ioulia Timochenko, vient d'être condamnée à 7 ans de prison, suivis de 3 ans d'inéligibilité, et à 150 millions d'euros d'amende. Soit la peine maximale requise par le procureur la semaine dernière.

Timochenko était jugée depuis la fin juin pour abus de pouvoir dans la signature d'un accord gazier avec la Russie en janvier 2009, une accusation dénoncée de toute part comme une manœuvre politique pour la mettre hors-jeu en vue des élections législatives d'octobre 2012.

Une matinée tendue

Sur l'avenue, aux abords du tribunal, des milliers de partisans de Ioulia Timochenko avaient commencé tôt le matin un face-à-face tendu avec plusieurs centaines de contre-manifestants du Parti des Régions du président Victor Ianoukovitch, et des milliers de forces de sécurité et d'unités anti-émeutes.

La matinée a été émaillée de heurts, quand des manifestants ont tenté de déborder du trottoir à l'avenue afin d'en bloquer la circulation, avant d'être refoulés par les policiers. Des douzaines d'arrestation s'en sont suivies. La tension a toutefois été atténuée par un léger brin de fraîcheur. Comme à leur habitude, les activistes féministes Femen se sont manifestées en marge de l'événement.Cinq d'entre elles sont apparues, couronnées de fleurs et poitrines dénudées, sur une plate-forme commerciale du "SUM", grand centre-commercial du centre-ville, juste en face de l'entrée du tribunal. Elles ont brandi pancartes et drapeaux déclarant "Yu & Ya = same shit" [Ioulia Timochenko & Victor Ianoukovitch = même merde]. Après une longue demi-heure dans le froid d'octobre, elles ont finalement été emmenées par les forces de police. Elles ont été relâchées en milieu d'après-midi.

Dans la salle d'audience, par une chaleur suffocante, la lecture du verdict s'est éternisée pendant trois heures avant que la culpabilité de Timochenko ne soit finalement reconnue. Ce qui ne l'a pas empêché de défier une ultime fois le président Ianoukovitch et de se poser en protectrice de la nation.

Le jugement écrit par Viktor Ianoukovitch ne change rien à ma lutte. Vive l'Ukraine.

A l'annonce du verdict, la foule a spontanément tenté de pénétrer dans le tribunal, au milieu de vieilles femmes en pleurs et sous les harangues de députés fidèles à "Ioulia". Malgré des jets de chaises et de pierres et quelques blessés, l'assaut a été contenu par les forces spéciales. Et Ioulia Timochenko a rapidement été évacuée vers une maison d'arrêt de Kiev, dissuadant ses partisans d'entrer dans le tribunal. Ils multiplient maintenant les appels à un sit-in permanent et à des manifestations de masse jusqu'à ce que leur héroïne soit libérée, d'une manière ou d'une autre.

Dame de fer et ex-oligarque

Une mobilisation populaire de grande ampleur à la suite de l'emprisonnement de l'ancienne "dame de fer de l'Ukraine", reste incertaine. Si sa réputation actuelle est bâtie sur son rôle déterminant dans la Révolution orange de 2004 et sa gestion ferme des affaires du pays en tant que premier ministre, elle n'est pas arrivée à faire oublier son passé, d'oligarque du gaz controversée et de probable pièce maîtresse dans de nombreuses affaires de corruption.

Sans oublier qu'elle incarne maintenant l'échec cuisant des espoirs soulevés par la révolution pacifique de 2004. Hormis les militants et les sympathisants de son parti Batkivschyna (Patrie), le soutien dont elle dispose s'avère minime dans la rue, et son procès a été marqué par une large indifférence de l'opinion publique.

Au niveau international cependant, les réactions ne se font pas faites attendre. De nombreux dirigeants de l'Union européenne (UE) regrettent la condamnation de Timochenko et doutent que le procès ait été conduit de manière indépendante et juste.

Pour une fois, Catherine Ashton ne tergiverse pas. L'UE est "profondément déçue" par ce procès "qui n'a pas respecté les normes internationales" et l'Ukraine s'expose "à de graves conséquences si Mme Timochenko ne bénéficie pas d'une procédure équitable" a afirmé la responsable de la diplomatie européenne.

Wilfried Martens, président du Parti Populaire Européen (PPE), a immédiatement appelé à suspendre la signature de l'ambitieux Accord d'Association, que l'UE est en passe de conclure avec l'Ukraine.

L'influent eurodéputé Jacek Sariusz-Wolski a accusé le gouvernement ukrainien d'avoir "trahi" les amis que l'Ukraine avait en Europe, et d'avoir prouvé que le pays a "d'autres valeurs que celles de l'UE". Et d'appeler à interdire Ianoukovitch de se rendre à Bruxelles, pour une visite prévue le 20 octobre.

Un verdict pour renégocier avec Moscou

La Russie, pourtant alliée de choix de Ianoukovitch, n'est pas en reste. Le verdict de ce matin fournit une base légale à la renégociation de l'accord gazier de janvier 2009. Conclu par le premier ministre Timochenko en pleine "guerre du gaz", le contrat s'est vite révélé extrêmement désavantageux pour l'Ukraine. Le ministère russe des Affaires étrangères dénonce "le caractère manifestement anti-russe de toute cette affaire".

Il est donc possible que, au prix d'un règlement de compte politicien, le régime de Ianoukovitch se soit aliéné le peu de sympathies dont il disposait à 'étranger. L'Ukraine pourrait voir son rapprochement stratégique avec l'Union Européenne contrarié et se retrouver dangereusement isolée sur la scène internationale.

Le gouvernement étudierait la possibilité de gracier, de façon détournée, Timochenko avant la fin de l'année, afin de garantir la signature de l'Accord d'Association avec l'UE. Mais le mal est fait et pourrait laisser des traces durables. Et sur Khreshatyk , les clameurs des manifestants indiquent qu'ils ne semblent pas prêts d'oublier.

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