MyEurop: La Russie n'est "pas faite pour la démocratie"

Article publié sur le site de MyEurop, le 02/03/2012Le Russe Yevgueni Kiseliov anime le talk-show politique le plus populaire d'Ukraine. Il est certain que Vladimir Poutine, sera réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle, dimanche. Et ne croit pas que la mobilisation sans précédent d'une opposition hétéroclite puisse vraiment changer un système non démocratique.
Depuis septembre 2009, le plus populaire des talk-shows politiques en Ukraine, "Velika Politika" (La Grande Politique), sur la chaîne de télévision Inter TV, accueille chaque semaine les responsables politiques du pays. Ce grand moment de la vie politique ukrainienne est animé en russe, la langue maternelle du journaliste Yevgueni Kiseliov, né à Moscou et citoyen russe.Grand analyste politique, figure marquante de la libéralisation de l'ère Eltsine, il a été le lauréat, en 1995, d'un prix américain pour la liberté de la Presse. Il a, notamment, dirigé la chaîne russe privée et indépendante NTV, passée sous le contrôle du Kremlin en 2001.Mais maintenant, la Russie a changé et il lui serait "inimaginable" de faire son travail avec la même qualité et la même liberté qu'en Ukraine.En 2010, il avait vanté la vie politique ukrainienne, une "maison de fous", à l'inverse du "cimetière" de la politique russe. Un désarroi qui n'a apparemment pas changé, deux ans plus tard. A l'approche du premier tour de l'élection présidentielle russe, ce dimanche 4 mars, il fait ouvertement part de son pessimisme quant aux perspectives de son pays.

Une mobilisation inédite... et sans effet

Sans hésitation, il est persuadé que le Premier Ministre Vladimir Poutine, ancien Président (2000-2008) et candidat favori au scrutin de dimanche, va être "réélu au premier tour, grâce à une majorité significative". Et ce, malgré les manifestations inédites qui ont secoué le pays, en particulier à Moscou, depuis décembre 2011 et les dernières élections législatives.Des fraudes électorales en faveur de Russie Unie, le parti au pouvoir, avaient émaillé le vote. Les résultats truqués avaient néanmoins montré une perte d'influence du parti, qui n'avait pas réussi à franchir la barre des 50% des suffrages. Des manifestations sans précédent, relayés par une vive mobilisation des internautes russes, avaient alors fait souffler un vent de changement sur une Russie longtemps pointée du doigt comme conservatrice et autoritaire.Mais ces protestations resteraient lettre morte le 4 mars. "Le Président est élu par la majorité silencieuse, par ceux qui se lèvent le dimanche matin, font la queue devant les bureaux de vote et mettent leurs bulletins dans l'urne", juge Yevgueni Kiseliov.

Les jeunes gens qui ont exprimé leur mécontentement sur Internet ne votent pas. Je ne dis pas que je n'ai aucun espoir dans les jeunes générations, mais je préfère être sceptique. Je serai heureux de voir ces hipsters, ces clubbers, ces internautes, se lever le 4 mars et voter pour quelqu'un d'autre que Poutine. Mais je préfère être pessimiste, j'aurai moins de mauvaises surprises.

Les manifestations de ces dernières semaines seraient, selon lui, sincères, mais initiées par des groupes disparates, peu organisés et qui "ne croient pas à la possibilité de vraiment changer le système".

Poutine,"un citoyen russe ordinaire, médiocre"

Si quelques figures de proue sont parvenues à mobiliser ce que Yevgueni Kiseliov appelle la "classe créative", qui remplacerait désormais une défunte "intelligentsia", il demeure impossible de leur faire croire à un réel changement. D'autant que cette "classe créative" est, malgré un battage médiatique intense, isolée.

S'ils arrivaient à remplir la Place Rouge, la plus grande place d'Europe, ils seraient alors quelques centaines de milliers. Mais des millions de Russes resteraient tout de même assis à la maison, silencieux. Et iraient voter pour Poutine le 4 mars.

Vladimir Poutine a, depuis ses débuts, fondé la légitimité de son pouvoir sur cette majorité silencieuse. C'est, pour Kiseliov, un "opportuniste typique", dont le personnage politique est "mauvais", qui conforte la majorité de ses concitoyens dans une vision conservatrice, patriarcale et nationaliste de la Russie.

Sa plus grande force, c'est d'être un citoyen russe ordinaire, médiocre, qui n'a pas besoin de beaucoup de choses dans la vie, qui n'est pas très bien éduqué et qui croit dur comme fer à certaines choses qui n'existent pas dans ce monde. Comme, par exemple, un impérialisme américain assoiffé de sang, qui n'attendrait que l'occasion de saisir l'ours russe pour l'éventrer !

Mais alors pourquoi des fraudes, si Vladimir Poutine, très populaire, n'en a, de fait, pas besoin?

C'est le système qui le veut. Les gouverneurs régionaux se concurrencent traditionnellement pour produire de bons résultats électoraux, et c'est ce qu'ils vont faire encore cette fois. On a bien vu qu'à la suite des élections législatives, la quasi-totalité des gouverneurs de régions où le soutien à 'Russie Unie' avait été plus faible qu'attendu avaient été contraints de démissionner.

Autre raison, le pouvoir ne serait plus sûr à 100% de gagner les élections. "Ils se sentent plus faibles qu'ils ne l'ont été. Pour la première fois en 12 ans, ils font face à ce genre de mécontentement de la part de la 'classe créative' ".

"La Russie va entrer dans une nouvelle période sombre"

Le colosse aurait-il des pieds d'argile? Cela ne change rien pour Yevgueni Kiseliov, pour qui le pays ne peut se "dégeler" avant de nombreuses années.

Je suis parfois très sceptique quant à la capacité de la Russie et des Russes à devenir une démocratie. Il est fort possible que cela n'arrive jamais. Vous savez, la Russie a une tradition millénaire d'esclavage et de servage.

Alors, quel avenir pour la Russie ?

Tout le monde a compris que [Vladimir] Poutine est de retour. Et probablement en tant que leader très sévère. Il va s'atteler à stopper net toutes les tentatives de libéralisation du système engagées pendant les années Medvedev [le Président actuel]. […] La Russie va entrer dans une nouvelle période sombre de son histoire, et on va assister à une fuite des cerveaux et des capitaux de la 'classe créative', à un manque de modernisation, à une recrudescence de la corruption et à une incapacité totale à adapter le pays aux réalités du monde moderne.

Un phénomène d'émigration qu'il a lui-même initié en 2008, quand il a déménagé en Ukraine. Et sur lequel il n'a pas l'intention de revenir. "Je ne suis pas très altruiste. J'ai un bon travail ici, un bon salaire, je ne suis plus tout jeune. Franchement, je dois penser à moi-même. Je ne veux pas sacrifier ma vie."

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