RFI: Liberté d'expression en Ukraine
Chronique diffusée dans l'émission "Accents d'Europe", le 13/02/2014On a beaucoup parlé de l'Ukraine ces derniers mois, alors que le pays est agité par de sérieuses contestations gouvernementales. Hormis corruption, népotisme et violences policières, les protestataires accusent aussi le Président Victor Ianoukovitch de restrictions sans précédent de la liberté d'expression. Dans le dernier index de la liberté de la presse de l'ONG Reporters sans Frontières, l’Ukraine a perdu 10 places par rapport à 2012, et termine 127e du classement, sur 179 pays. Un pluralisme sous contrôle, c’est ainsi qu’on peut décrire l’Ukraine des journalistes. Depuis 22 ans que le pays est indépendant, il a été reconnu comme l'un des plus pluralistes de l'ex-URSS, que ce soit dans la sphère politique ou médiatique. Mais force est de constater que la plupart des médias sont aux mains d'oligarques et de groupes d'intérêt bien précis, de plus en plus liés au régime du président Victor Ianoukovitch. La plupart des quelques médias qui avaient des voix discordantes ont été récemment rachetés par des hommes d'affaire proches du président. Jusqu'en 2010, Nataliya Gumenyuk était en charge des nouvelles « International » de la première chaîne télévisée du pays, INTER. Pour elle, il y a bien des tentatives de contrôle de l'espace médiatique en Ukraine. Et si l'on peut encore parler de tout, il n'est juste pas certain que quelqu'un écoute. Nataliya: Quelque chose très spécifique à l'Ukraine, c'est la marginalisation des voix indépendantes. C'est ce qui s'est passé ces dernières années. Les journalistes objectifs ont d'abord été poussés vers la sortie des grands médias. Maintenant, les enquêtes qu'ils font ne sont pas prises au sérieux. Même si un journaliste collecte des preuves, des documents ou autre, les autorités vont faire semblant que cela n'existe pas. En filigrane, cette idée, héritée de l'époque soviétique, que le journalisme ne sert qu'à assurer la transmission et la diffusion de l'information officielle, sans prise de distance critique. Le phénomène de sujets commandités et payés par quelqu'un afin d'assurer sa promotion est aussi très répandu. Avec un groupe de journalistes évincés de plusieurs médias indépendants, Nataliya Gumenyuk a fondé Hromadske TV, télévision publique en ukrainien. Le média n'a pas de propriétaire, il est financé par des dons de particuliers. Dès ses débuts, il a rencontré un franc succès, car les téléspectateurs y ont vu un média objectif, indépendant et innovant. La télévision est exclusivement sur Internet, afin de ne pas rencontrer les problèmes de diffusion d'autres chaînes. Le taux de pénétration Internet en Ukraine n'est que de 39% environ. Mais la toile est remarquablement dynamique. Selon l'ONG Freedom House, l'Ukraine est un pays « partiellement libre ». Mais son réseau Internet est lui, classé comme « libre ». Les réseaux sociaux ont d'ailleurs montré leur extraordinaire vigueur depuis le début du mouvement de protestation il y a 3 mois. Ils ont été l'objet de cyberattaques, mais rien qui n'ait réussi à les faire taire.De manière plus préoccupante, la situation sécuritaire des journalistes s'est détériorée. Aujourd'hui dans Kiev, beaucoup marchent avec casque sur la tête et autres protections. Et pour cause : lors des affrontements sur les barricades, ils étaient des cibles désignées de tireurs embusqués. Plus de 80 cas d'attaques ont été recensés contre des journalistes. Le phénomène n'est pas nouveau car les journalistes étaient déjà victimes d'intimidations et d'agressions auparavant. Et dans les régions, loin de l'agitation de la capitale, leur situation est encore plus précaire.Mais, Nataliya Gumenyuk, elle, ne se sent pas encore visée. Pour elle, au contraire de ce qui peut se passer dans d'autres pays, être une femme peut même constituer une protection. Nataliya: Je suis convaincue que l'Ukraine est un bon pays pour être une femme journaliste. Quelques fois, c'est même plus facile que pour les hommes. Par exemple, quand il s'agit d'aller voir les soutiens du Président, ou d'aller parler à la police. Ils peuvent être un peu tendus, mais quand c'est une femme qui vient les voir, ils sont plus calmes. Comme dans de nombreux autres pays européens, Natalaya dénonce en revanche des différences de salaire entre hommes et femmes. Mais comme elle le dit, ce n'est pas le plus gros problème de la liberté d'expression en Ukraine. Ecouter la chronique ici