RFI: Polémique sur le salaire des députés ukrainiens
Séquence "Bonjour l'Europe", diffusée le 06/11/2014Cela fait à peine dix jours que les Ukrainiens ont renouvelé leur Parlement. La nouvelle législature n'a pas encore commencé à travailler qu'une controverse éclate déjà sur les salaires des députés. Ils valent aujourd'hui tout juste l'équivalent de 300 euros. Un des pères de la révolution de l'EuroMaidan, et héros de la lutte anti-corruption, l'ancien journaliste et nouveau député Mustafa Nayyem, insiste pour que ces salaires soient relevés, mais ça n'est pas du goût de tout le monde.Pourquoi une telle demande ? Et bien parce que des revenus aussi bas pour les législateurs seraient tout simplement une invitation à la corruption. Mustafa Nayyem et plusieurs de ses nouveaux confrères estiment qu'on ne peut pas vivre honnêtement à Kiev avec 300 euros par mois. En habitant moi-même à Kiev, je confirme que ce serait difficile. Et donc Mustafa Nayyem demande que les salaires des députés doivent être au moins triplés, afin de s'assurer qu'ils soient auto-suffisants, et donc indépendants pendant leur mandat. Vous savez que la politique ukrainienne est bien connue pour engendrer une corruption endémique. Pendant des années, les députés ukrainiens n'ont jamais caché leurs grosses voitures noires, leurs montres en or ou leurs villas. Cela a d'ailleurs été une des cibles de la révolution de l'EuroMaidan.C'est d'ailleurs pour ça que l'annonce de Mustafa Nayyem a fait l'effet d'un choc. Que lui, le militant, un des pères de la révolution, figure très populaire et réputée très simple, demande une augmentation de salaire à peine élu, cela crée une forte polémique. Tout le monde comprend son raisonnement, mais on lui reproche d'en parler après l'élection, alors qu'il devait probablement savoir où il mettait les pieds avant. Et aussi, on lui fait comprendre que ce n'est pas le bon moment.Pourquoi ce n'est pas le moment ?En premier lieu, parce que le pays est dans un contexte de grave crise économique ! Sous perfusion du FMI, le gouvernement a déjà du augmenter les impôts et geler, voir réduire, les salaires de la fonction publique. L'Etat a à peine de quoi payer pour les salaires et l'équipement, ou même les chaussettes chaudes des dizaines de milliers de soldats qui sont mobilisés à l'est de l'Ukraine. Donc vouloir augmenter les salaires des députés en ce moment, ça ressemble à une plaisanterie de mauvais goût.Et il faut dire aussi que depuis le mois de février, les députés sont sous étroite surveillance de la société civile, que ce soient des ONG citoyennes ou des militants radicaux. Et eux mettent en avant qu'il ne faut pas régler les dérives de corruption au Parlement avec plus d'argent, mais avec plus de contrôle, et une exigence de responsabilité. Pour l'instant, aucune décision n'a été prise. Mais en tout cas, tout le monde s'accorde sur le fait que ce Parlement doit être celui de la lutte anti-corruption.Mais d'après ce que l'on voit, les oligarques ukrainiens restent très puissants et influents dans la politique ukrainienne ? Oui en effet. On l'a bien vu à travers la composition des listes électorales : les principaux oligarques ukrainiens ont placé leurs candidats ici et là. Et bien sûr n'oublions pas que le Président Petro Porochenko est lui-même un oligarque. C'est un problème, dans le sens où le système oligarchique encourage la corruption, et décourage la modernisation de l'administration et de l'économie. Et pour ce qui est d'une répartition équitable de la richesse, ou d'une pratique plus ouverte et transparente de la politique, on en est encore loin. Un récent classement du magazine "Forbes Ukraine" des personnalités les plus riches d'Ukraine révèle que les cent plus riches détiennent l'équivalent de 22% du PIB. C'est sans doute ça le plus gros bémol de l'argumentation de Mustafa Nayyem. Peut importe qu'un salaire de député soit triplé ou quintuplé, un oligarque ukrainien pourra toujours proposer plus si besoin est. Pour les Ukrainiens, l'enjeu, c'est bien une refonte du système existant, et cela dépasse la question des salaires.Ecouter la séquence ici