RFI: Controverse en Ukraine autour de l'interdiction de réseaux sociaux russes

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 17/05/2017Les actes de rupture entre l’Ukraine et la Russie se multiplient depuis le début de la guerre hybride entre les deux pays en 2014. Le Président Petro Porochenko a signé un décret, hier 16 mai, interdisant plusieurs sites russes très populaires en Ukraine. La raison invoquée, c’est de mettre la pression sur la Russie, et lutter contre la guerre de l’information venue de Moscou. Mais en Ukraine même, la décision déclenche une vague de critiques… Depuis Kiev, Sébastien Gobert0000075914-vkontakte-bojkotSébastien, on comprend que cette décision est controversée, car il s’agit de 4 sites qui figuraient parmi les 10 plus populaires sur l’Internet ukrainien… Oui, vous imaginez, ce sont plus de 12 millions d’utilisateurs de VKontakte, le Facebook russe, et 5 millions d’abonnés de Odnoklassniki, l’équivalent de Copains d’Avant, qui perdent accès à leurs comptes. Il y a aussi mail.ru un service de courriels qui compte des millions d’utilisateurs, et Yandex, un moteur de recherche. En tout, ce sont 468 sociétés, et 1228 individus qui sont interdits en Ukraine par le décret présidentiel. Les bureaux seront fermés, les comptes en banque gelés, les individus interdits d’entrée sur le territoire national. Cela s’ajoute aux sanctions déjà pré-existantes.La décision était attendue s’inscrit dans le cadre d’une doctrine de la sécurité de l’information que le Président a signé en février. Pour autant, le décret ne détaille pas les moyens qui seront mis en oeuvre. Et pour être efficaces, il faudrait que l’Ukraine construise un nouveau mur de chine de l’Internet. Cela demande investissements et compétences, dans un pays qui est connu comme l’un des premiers pays pirates au monde. Les forums et réseaux sociaux regorgent déjà de conseils sur l’utilisation de sites miroirs et de VPN. Mais surtout, les internautes s’alarment de la perspective de vivre désormais sous un régime répressif.Oui, ce décret semble autant dirigé contre les sites russes que contre leurs utilisateurs ukrainiens… Tout à fait. Le constat de l’exécutif, c’est que les réseaux sociaux venus de Russie sont des outils d’influence et de manipulation du Kremlin. Ils servent à créer des groupes de réflexion et de propagande, qui aident les militants pro-russes à coordonner leurs actions. C’est vrai, et cela a été prouvé en 2014, lors du début de la guerre. Mais cela ne concernait pas TOUS les 12 millions d’utilisateurs de Vkontakte, par exemple! Certains internautes mettent donc en garde le gouvernement contre des émeutes à venir, qui seront celles d’adolescents en colère, qui réclameront l'accès à leurs réseaux sociaux. C’est ironique bien sûr, mais le ressentiment est réel.Beaucoup considèrent cette interdiction comme une sanction non pas contre les sites russes, mais contre les Ukrainiens eux-mêmes. Certains voient dans ce décret l'opportunité pour des entreprises ukrainiennes de développer de nouveaux réseaux sociaux, et de renforcer l'Internet national. Ces commentaires optimistes sont néanmoins noyés dans la masse des critiques, dans lesquelles transpirent aussi la peur d’une censure de l’Internet, Les autorités chercheraient à étouffer les contestations sans régler les problèmes de fond.18446915_1531738936870912_6972959978063008295_nBeaucoup y voient aussi une tendance au “tout répressif” du gouvernement, notamment dans le domaine de l’information et de la liberté d’expression. On peut noter qu’un Ukrainien vient juste d’être condamné à 2,5 ans de prison pour cité une phrase du Capital, de Karl Marx sur son profil virtuel. C’est considéré comme de la promotion de l’idéologie totalitaire communiste, et comme une enfreinte aux lois de décommunisation de 2015. Le débat fait rage sur cette question aussi, car les termes de l’accusation ne sont pas bien définies.Mais dans ce cas comme dans le cas de l’interdiction des sites russes, beaucoup dénoncent des mesures qui sont très similaires à ce que le Kremlin a développé en Russie ces dernières années. Le chercheur Mikhaylo Minakov regrette que “l’Ukraine devient une nouvelle Russie. A la différence près que nous n’avons pas ni pétrole, ni gaz”.Beaucoup se posent aussi la question de la pertinence d’une telle interdiction au 21ème siècle…? Exactement. Pour beaucoup d’Ukrainiens, une interdiction totale l’interdiction est est avant tout un aveu d’échec pour le gouvernement, qui n’a pas réussi, depuis trois ans, à utiliser ces sites russes pour mener la guerre de l’information contre la Russie. Les réseaux sociaux des soldats russes déployés dans l’est de l’Ukraine sont plein, par exemple, de preuves de l’intervention de la Russie. Les enquêteurs ukrainiens pourraient perdre de précieuses sources d’informations, par exemple pour analyser les groupes pro-russes, ou pour continuer l’enquête sur le crash du Boeing MH17 en 2014.Et pour finir sur l’idée d’une interdiction totale, cela pourrait montrer que le gouvernement ne comprend tout simplement pas l’Internet. Puisqu’il ne faut pas se leurrer: Que ce soit sur ces réseaux sociaux ou sur d’autres plateformes, les critiques du gouvernement, et les idées des militants pro-russes arriveront toujours à circuler.

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