LLB: La tradition ukrainienne de persécution politique se retourne-t-elle contre un ex-chef de l’État ?

Article publié dans La Libre Belgique, le 08/07/2020

Photo: Niels Ackermann / Lundi 13

“Personne ne vous craint, Volodymyr Oleksandrovitch (Zelenskyy, ndlr)! Ni dans ce tribunal, ni dans la rue”. Derrière un masque médical noir orné d’une dentelle traditionnelle, les mains recouvertes de gants de protection, l’ancien président ukrainien Petro Porochenko galvanise une foule compacte de plusieurs centaines de sympathisants. Ce 18 juin, il vient d’échapper à la menace d’une détention provisoire dans son procès pour abus de pouvoir. Tout en se réjouissant, il s’indigne de l’ouverture d’une nouvelle enquête à son encontre, pour “incitation à la haine religieuse” dans le cadre de l’instauration d’une Eglise orthodoxe d’Ukraine indépendante de Moscou. En tout, ce sont 20 enquêtes et un procès qui sont en cours. Pour son avocat Illya Novikov, la trame de fond est claire: “c’est de la persécution politique”. L’accusation est grave. Elle pourrait sérieusement entacher le mandat du successeur de Petro Porochenko, l’ancien comédien Volodymyr Zelenskyy.

De fait, la multiplication des affaires vire à l’absurde. Abus de pouvoir, trahison, nominations illégales de juges, passage de frontière non-déclaré ou encore contrebande d’oeuvres d’art… le moindre travers de la présidence Porochenko semble justifier l’ouverture d’une investigation. Preuve d’un acharnement personnel selon la défense: la moitié des enquêtes ont été ouvertes à la demande d’un certain Andriy Portnov. L’homme est avocat, ancien chef de l’administration de l’autoritaire Viktor Ianoukovitch, président déposé en 2014 au terme de la révolution de la dignité. De retour d’exil en 2019, Andriy Portnov a ouvertement juré la perte de Petro Porochenko.

L’influence d’Andriy Portnov sur le système judiciaire reste à démontrer. Et à l’heure actuelle, rien ne prouve que les déboires judiciaires de l’ancien chef de l’Etat ont été ordonnés par Volodymyr Zelenskyy. Lui dément d’ailleurs toute interference. Reste qu’il ne cache pas son animosité vis-à-vis de son prédécesseur, qu’il dénonce publiquement comme “un manipulateur expérimenté”, qui n’aurait pas hésité à le diffamer, lui et sa famille, pendant la campagne de 2019.

Volodymyr Zelenskyy ne fait d’ailleurs pas montre d’une réserve à toute épreuve. Lors d’une récente conférence de presse, il a évoqué l’une des affaires en cours, celle-ci aux implications géopolitiques: l’enregistrement douteux d’un coup de téléphone entre Petro Porochenko et Joe Biden, alors vice-présidence américain. La bande-son a été montée afin de suggérer un arrangement louche entre les deux hommes. Elle est vue comme une riposte des partisans de Donald Trump à l’affaire qui avait mené à son procès en destitution. Pour Volodymyr Zelenskyy, c’est un “scandale” qui annonce “un châtiment à venir” pour Petro Porochenko.

La saga judiciaire fait régulièrement les gros titres en Ukraine, même s’il “est impossible de garder le fil: plus personne ne sait pour quelle affaire l’ancien président se rend aux interrogatoires”, ironise la militante des droits de l’homme Halyna Coynash. D’autant que “les deux camps tournent la situation en farce médiatique”, ajoute le politologue Oleksandr Lemenov. “Du côté de Zelenskyy, on essaie de satisfaire le peuple en faisant de Porochenko l’ennemi numéro 1. Côté défense, on ne manque pas une occasion de dénoncer les nombreux vices de procédure”.

Conséquence directe de ce jeu du chat et de la souris: l’ancien président, discrédité et inaudible à la fin de son mandat, est de retour sur le devant de la scène politique. Avec un patrimoine estimé à 1,25 milliard d’euros par le magazine Forbes, il est la troisième fortune du pays. Il a par ailleurs indiqué détenir 63 millions de dollars en liquide dans sa récente déclaration de patrimoine. Propriétaire de chaînes de télévision, il a ainsi les moyens d’alimenter une campagne de victimisation, et d’organiser des manifestations de soutien à chaque convocation.

Un an après l’élection de Volodymyr Zelenskyy sur un raz-de-marée dégagiste, la “nouvelle ère” qu’il avait promis est déjà perturbée par une multitude de querelles partisanes, un blocage de nombreuses réformes, des allégations de conflits d’intérêt ou encore de népotisme. Le cas de Petro Porochenko s’apparente, lui, à un radical retour en arrière. Les discours enflammés, les manifestations nerveuses face à un fort dispositif policier, les accusations absurdes et les vices de procédures injustifiés sont autant de rappels des poursuites très politisées qui avaient visé l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko en 2011 ou l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili en 2018. Lui dénonçait, à l’époque, une persécution politique commanditée par… Petro Porochenko.

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