France Culture: Mikheïl Saakachvili expulsé d’Ukraine. Pour combien de temps?
Papier diffusé dans le journal de 18h, sur France Culture, le 12/02/2018
La scène ne collait pas à ce restaurant de luxe du centre de Kiev. En plein après-midi, une dizaine d’hommes en uniforme, cagoulés et armés font irruption dans le restaurant et plaquent Mikheïl Saakachvili au sol. L’opération est bruyante, brutale, et rapide. C’est la dernière apparition de l’ancien président de Géorgie à Kiev. Sur les réseaux sociaux, ses partisans s’affolent rapidement. Plusieurs groupes entreprennent de le chercher dans la capitale ukrainienne, sur les routes d’accès à la ville, et dans les deux aéroports internationaux avoisinants. Jusqu’à ce qu’Oleh Solobodyan, ajoint au chef des gardes-frontières, confirme son “expulsion” vers la Pologne.
Impliqué dans la politique ukrainienne depuis la Révolution de l’EuroMaïdan de 2014, le Géorgien se revendique depuis des mois comme le premier opposant au Président Petro Porochenko, qu’il taxe d’autoritarisme et de corruption. Empêtré dans plusieurs scandales, de sa déchéance de citoyenneté à des accusations de préparation de coups d’Etat, il s’était démarqué par plusieurs coups d’éclats, très médiatisés. Les autorités avaient tenté de l’arrêter à plusieurs reprises. “Misha”, de son surnom, était aussi menacé d’extradition vers la Géorgie, où il a été condamné par contumace à trois ans de prison.
Pourquoi la Pologne? Pour que Varsovie le “réadmette” après avoir illégalement traversé la frontière polono-ukrainienne en septembre 2017. Une manière pour Kiev d’éviter la critique de persécution politique qu’aurait entraîné une extradition vers la Géorgie ou un emprisonnement en Ukraine. Mikheïl Saakachvili a 14 jours pour décider de sa prochaine manoeuvre. Au téléphone, il appelle ses partisans d’une voie posée à garder leur calme. Tout en s’emportant contre Petro Porochenko, “ni un président, ni un homme, juste un escroc qui cherche à ruiner l’Ukraine”. Le Président a eu beau se dissocier ouvertement des mésaventures de son adversaire, l’acharnement montré par le Procureur Général, Iouriy Loutsenko, démontre une volonté d’écarter le Géorgien de la politique ukrainienne.
A Kiev, ses partisans assurent ne pas vouloir baisser les bras. “Il faut établir des barrages routiers, et que l’on se réunisse devant l’administration présidentielle”, lance Tetiana Bagranovska, une de ses attachées de presse. Fort de son bilan réformateur en Géorgie, Mikheïl Saakachvili appelait à une nouvelle révolution en Ukraine, et à une lutte sérieuse contre l’oligarchie et la corruption. Il n’avait néanmoins pas réussi à gagner l’opinion publique à sa cause. Beaucoup le décrient comme un aventurier populiste. Privé de son chef, les perspectives du parti “Mouvement des Forces Nouvelles” semble incertain. Reste malgré tout que la brutalité de l’arrestation, et l’expulsion expéditive du Géorgien, font sensation. “4 ans après Maïdan, on en arrive encore à ce genre de situation…”, se désole la militante civique Violeta Moskalu. “C’est une honte”.