Libé: MH17 – le missile meurtrier appartenait à l’armée russe

Article publié sur le site de Libération, le 24/05/2018

L’équipe internationale chargée de l’enquête a conclu que le missile appartenait à la 53e brigade antiaérienne de l’armée russe.

«Maintenant, c'est officiel.» Comme le chroniqueur Volodymyr Runets, de nombreux utilisateurs ukrainiens de Facebook ont accueilli avec soulagement les conclusions de l'équipe internationale d'enquêteurs sur le drame du MH17 de la Malaysia Airlines. Le missile «Buk» qui a abattu le Boeing, le 17 juillet 2014, et tué ses 298 passagers et membres d'équipage, appartenait à la 53e brigade antiaérienne de l'armée russe, basée près la ville de Koursk. En Ukraine, c'est une ultime confirmation de ce que Kiev a présenté comme une évidence depuis 2014 : le Kremlin est directement impliqué dans la guerre, dans l'est du pays.

En 2014, la tragédie avait forcé la communauté internationale à se pencher sur ce conflit. Suivant l’annexion de la Crimée en mars, la région industrielle du Donbass s’était enflammée, déchirée par les affrontements entre troupes ukrainiennes officielles et bataillons de volontaires d’une part, et des groupes divers de séparatistes pro-russes et l’armée russe d’autre part. Quatre ans après, les républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk semblent sanctuarisées, retranchées derrière une ligne de front stabilisée. Depuis juillet 2017, l’aviation militaire n’est plus utilisée dans la zone de guerre, mais des affrontements sporadiques alourdissent régulièrement le bilan humain, de plus de 10 300 morts, 25 000 blessés, et au moins 1,5 million de personnes déplacées, selon l’ONU. Malgré une accumulation de preuves accablantes, le Kremlin n’a jamais admis son engagement sur le terrain. Pour les Ukrainiens, le drame du MH17 constitue l’une de ces preuves.

Théories

D’autant que la catastrophe a été vécue comme une attaque cynique de la Russie dans la guerre de l’information que se livrent les deux pays. Médias russes et réseaux sociaux relaient depuis juillet 2014 une série de théories, pour certaines incohérentes et contradictoires, rejetant la responsabilité de la chute du Boeing sur l’Ukraine. Les hypothèses d’un lance-missiles ukrainien, ou d’une roquette tirée depuis un avion de chasse à la cocarde bleue et jaune, ont été rejetées les unes après les autres par les enquêteurs internationaux, ainsi que par le groupe de recherche indépendant «Bellingcat». Un soi-disant contrôleur aérien espagnol, nommé Carlos, avait donné foi à ces théories sur les réseaux sociaux et les médias russes. Une enquête de Radio Free Europe l’a en fait identifié comme un fraudeur, un temps emprisonné en Roumanie, et ayant reçu de l’argent de sources russes en 2014.

«Le mal sera puni, et la justice rétablie», a réagi le président ukrainien Petro Porochenko sur son compte Facebook. Lui assure poursuivre la coopération de son pays avec les enquêteurs internationaux, et demander des comptes à la Russie à travers les différents recours ukrainiens auprès d'instances internationales, à La Haye ou à Stockholm. Si le Président est très critiqué dans sa gestion de la situation dans le Donbass, ses promesses concernant l'enquête sur le MH17 sont bien accueillies dans un pays qui subit toujours les conséquences de ce qui est considéré comme une agression étrangère. Le Donbass connaît un regain meurtrier de tensions ces jours. Ce 24 mai, deux centres médicaux ont été visés par des bombardements dans la ville de Toretsk. Dans le même temps à Kiev, des centaines de manifestants ont réclamé la libération d'au moins 66 prisonniers politiques ukrainiens en Russie, dont le réalisateur Oleh Sentsov, actuellement en grève de la faim.

Cadre légal

L'enquête du MH17 n'est pas finie. Le Hollandais Wilbert Paulissen et son équipe annonceront, vendredi, le lancement de la prochaine phase de leur investigation, «sur les personnes responsables» du drame. Bellingcat a d'ores et déjà identifié un général russe à la retraite, Nikolai Tkachyov, comme une des figures centrales de l'équipe opérant le lance-missiles. Si cette théorie, et d'autres, sont confirmées par les enquêteurs internationaux, ceux-ci ne disposeront néanmoins pas de cadre légal pour traduire les personnes concernées en justice. Les procédures ouvertes par l'Ukraine auprès d'instances internationales pourraient constituer une base de procès intéressante pour les enquêteurs.

Jeudi, l'Union européenne a appellé la Russie à une «bonne coopération» dans la poursuite de l'enquête. Au vu de la politique de déni du Kremlin ces dernières années, certains appellent au contraire à de nouvelles sanctions. Le politologue Adrian Karatnycky appelle ainsi à empêcher la construction du gazoduc «Nord Stream 2» entre la Russie et l'Allemagne. Nombre d'internautes ukrainiens redoublent leurs appels au boycott de la Coupe du monde en Russie. «La finale est le 15 juillet. C'est bien», commente avec cynisme l'internaute Serguei Starkowski : «Nous aurons juste le temps de commémorer la tragédie, deux jours plus tard.»

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