LLB: Implications géopolitiques de l’élection législative moldave

Analyse publiée dans La Libre Belgique, le 24/02/2019

Pour en savoir plus sur les enjeux de l’élection, lire l’article dans Libération ici

Est ou Ouest? République soviétique inféodée à la Russie, pays-frère de la Roumanie européenne, ou Etat indépendant et neutre? La campagne électorale en Moldavie agite une série de questions existentielles que ce petit pays de 3,5 millions d’habitants, un des plus pauvres d’Europe, n’a pas résolu depuis la chute de l’URSS en 1991.

L’arrivée au pouvoir, en 2009, d’une alliance pro-européenne, a certes accéléré l’intégration de la Moldavie au marché unique, à travers un accord d’association, une zone de libre-échange, et la libéralisation du régime de visas Schengen. Angela Merkel était venue en personne à Chisinau en 2012 pour féliciter le gouvernement de ses progrès. La coalition s’est néanmoins déchirée sur des querelles politiciennes et des affaires de corruption retentissantes. L’ancien premier ministre Vlad Filat est en prison pour sa participation au détournement scandaleux d’un milliard de dollars de trois banques nationales en 2014. La justice britannique vient par ailleurs de saisir quelques 528000 euros sur les comptes de son fils Luca, qui menait une vie de luxure à Londres.

Aujourd’hui, le gouvernement n’a de pro-européen que le nom. Il est sous la coupe de l’oligarque Vladimir Plahotniuc, décrié par beaucoup comme le “kidnappeur” des institutions d’Etat. Il a pris ses distances avec l’Union européenne dans ses derniers discours. Et Bruxelles le lui rend bien: les programmes d’assistance financière, vitaux pour la république post-soviétique, ont été gelés en avril 2018 en protestation à la “détérioration de l’Etat de droit”.

Déçus par les échecs et la corruption d’une classe politique soi-disant pro-européenne, les électeurs semblent tentés par le revirement géopolitique du parti des Socialistes et de son chef, le président de la république Igor Dodon. Celui-ci entretient une relation personnelle étroite avec Vladimir Poutine. Il s’était prononcé en faveur d’une reconnaissance de facto de l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie avant son élection à la présidence. Et s’il se dit “pro-moldave avant tout”, il préconise un rapprochement avec l’Union eurasiatique pilotée par la Russie, une fédéralisation du pays qui permettrait de réintégrer le territoire sécessionniste pro-russe de Transnistrie et accroître l’autonomie de la région de Gagouzie, et l’inscription du statut de neutralité dans la Constitution, qui empêcherait toute adhésion à l’OTAN.

Le Kremlin bien entendu fait savoir sa préférence dans la campagne, tout en se défendant d’une quelconque ingérence. La levée de quelques-uns des embargos commerciaux imposés ces dernières années, les facilités de transport accordées aux milliers de migrants moldaves pour prendre part au scrutin ou encore l’annonce d’une enquête visant Vladimir Plahotniuc pour évasion fiscale d’environ 50 millions d’euros, envoient néanmoins des messages clairs à l’électorat.

Il n’est cependant pas évident que l’élection du 24 février induise un revirement géopolitique majeur. D’une part, les résultats sont très imprévisibles, en raison d’un complexe système électoral mixte, à la fois proportionnel et majoritaire. Aucun parti ne devrait remporter une majorité décisive, et devra composer avec d’autres forces politiques. D’autre part, la Moldavie est contrainte, tant par sa géographie que par son instabilité financière, à maintenir ses partenariats avec les Occidentaux et les Russes, avec l’Ukraine et la Roumanie voisines. Le projet d’une interconnection des réseaux énergétiques entre Chisinau et Bucarest, et donc d’un rapprochement des deux pays, semble ainsi accepté par tous. Compte tenu de sa marge de manoeuvre limitée, certains avancent que l’innovation géopolitique la plus conséquente pour le pays serait de développer une véritable politique de relation avec sa diaspora. Entre un et deux millions de Moldaves vivent à l’étranger, et ont envoyé 1,1 milliard d’euros au pays en 2018. C’est l’un des ratios entre argent de l’étranger et PIB les plus importants au monde.

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