LLB: Nikol Pachinian, du treillis au costume-cravate

Article basé sur un entretien avec Nikol Pachinian à Erevan, publié dans La Libre Belgique, le 17/06/2018

L’entretien avait été mené à Erevan, le 09/06/2018, en collaboration avec RFI, AFP, et d’autres médias francophones.

“Toutes les révolutions se confrontent à un choix à un moment donné: consolider les acquis ou poursuivre la lutte. J’ai déjà écrit que j’aurai suivi Che Guevara jusqu’à la prise de La Havane, mais pas forcément jusqu’en Bolivie…” Nikol Pashinian, 43 ans, a l’air d’assumer clairement son choix. Engoncé dans costume-cravate, il trône sur son fauteuil de Premier ministre dans un salon doré du palais du gouvernement d’Arménie. A tendre l’oreille pour écouter ses réponses proférées à voix basse, il est difficile de s’imaginer qu’il haranguait encore peu les foules, mégaphone en main et sac à dos rivé aux épaules. “Mais ce que nous faisons ici, c’est aussi la continuation de la révolution”, ajoute-t-il.

Fin avril, Nikol Pashinian devenait l’icône de la “Révolution de Velours”, ces contestations pacifiques qui ont mis fin au règne du Premier ministre Serge Sarkissian. Inconnu à l’étranger, l’homme est actif depuis l’indépendance de l’Arménie en 1991. Ancien journaliste et militant politique, il avait passé un an et demie en prison pour sa critique du pouvoir en place. “Je n’ai pas annoncé ma propre révolution”, explique le Premier ministre. “J’ai milité comme les autres, et le peuple a décidé de me suivre. Les Arméniens me connaissent depuis longtemps, et savent que j’ai toujours marché droit, dans la même direction”. Et d’ajouter: “Mes pages Youtube et Facebook ont reçu plus de visiteurs qu’il n’y a d’Arméniens dans le monde… (soit environ 11 millions de personnes, ndrl.)”

“Au service du peuple”, Nikol Pashinian considère de fait sa personnalité comme une des clés des changements à venir. D’importants fonds occidentaux avaient été investis dans la réforme du système judiciaire au cours des dernières années. Selon le nouveau Premier ministre, les réformes avaient beau être positives, elles ne réglaient pas le problème principal: “les ordres directs émis depuis le 26, avenue du Maréchal Baghramyan (résidence du Premier ministre, ndlr.). Moi, je ne passe pas ce genre de coups de fils. Donc le problème est résolu”. A l’en croire, sa probité est un facteur suffisant pour endiguer la corruption au sein de la machine d’Etat. “Les juges qui prennent des pots-de-vin seront tout simplement arrêtés. Et les réformes pourront s’appliquer normalement”.

Excès de confiance? La placidité de l’ancien révolutionnaire contraste avec l’agitation de son équipe, à peine formée. Son attaché de presse, nommé deux jours avant cette interview, est visiblement débordé. Dans les médias locaux, les interrogations sont nombreuses sur ses jeunes recrues, diplômés d’universités occidentales inexpérimentées et sans réelle prise sur la machine administrative. Bien qu’il ne dispose pas d’une majorité au Parlement, Nikol Pashinian ne prévoit pas d’élections avant 2019. Face à ces incertitudes toutefois, l’enthousiasme de la rue ne se dément pas. “C’est le premier dirigeant à être plus blanc que blanc”, s’enflamme Samuel Mkoyan, assis sur le bord d’une fontaine de la place de la République. “Je suis sûr qu’il va réussir”.

Un des facteurs qui conforte l’opinion publique dans son soutien à Nikol Pashinian, c’est “l’absence d’un quelconque revirement géopolitique de ce processus politique”, comme l’assène le Premier ministre lui-même. A la différence des réorientations douloureuses observées en Géorgie ou en Ukraine, l’Arménie poursuit la politique dite “de complémentarité” menée par Serge Sarkissian. Des réformes techniques occidentales, notamment dans le cadre d’un accord de partenariat avec l’Union européenne, et une appartenance à l’Union eurasiatique pilotée par la Russie. “Les Russes ne se sont pas ingérés dans notre révolution. Ils respectent notre souveraineté”, se félicite Nikol Pashinian.

De même, aucun changement ne serait à attendre vis-à-vis des voisins partenaires, Géorgie et Iran, ou des voisins ennemis, Turquie et Azerbaïdjan. La seule initiative notable du Premier ministre en matière de politique de voisinage a été d’appeler le Haut Karabakh, cette enclave arménienne disputée en territoire azéri, à redevenir partie prenante aux négociations de paix. “L’Arménie est garante de la sécurité du Haut Karabakh, mais c’est une entité à part, qui doit parler pour elle-même”.

“Etre pro-occidental ou pro-russe est un concept perverti. Nous le répétons à nos opposants: un dirigeant politique arménien ne peut être que pro-arménien”, assène-t-il. Une position claire, occultée par son ambition de lutter contre les monopoles économiques et les oligarques, dont beaucoup sont liés à la Russie. Là encore, Nikol Pashinian temporise, voire minimise: “Il n’y a pas de situation de monopoles russes à proprement parler, que ce soit Gazprom, Rosneft ou les chemins de fer RJD. Et nos partenaires sont très ouverts pour discuter des changements futurs, par exemple concernant le prix du gaz. Nous ne voulons pas déraciner tout ce qui est russe! Au contraire, nous voulons attirer de nouveaux investissements, qu’ils soient russes, européens, américains ou autre”.

Le plus grand auditeur de cette entreprise pourrait être la diaspora arménienne, au moins deux fois plus nombreuse que la population du pays. Nikol Pashinian et son jeune ministre de la diaspora, Mkhitar Hayrapetyan, ont d’ores et déjà évoqué un grand projet de “rapatriement” des Arméniens de l’étranger. Un projet qui passerait d’abord par “la révision d’obstacles législatifs à l’implication de la diaspora en Arménie”, selon le chef de gouvernement, et qui se concrétiserait par la suite par des retours de familles, et une vague d’investissements. Pour un pays d’émigration comme l’Arménie, le retour de forces vives de l’étranger serait un marqueur infaillible du succès de la Révolution de Velours.

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