RFI: A l’heure du coronavirus, l’odyssée des scientifiques ukrainiens de l’Antarctique

Intervention dans la séquence Appel à Correspondants / Bonjour l’Europe sur RFI, le 03/05/2020

La fermeture des frontières et l’interruption des liaisons aériennes a déstabilisé le monde entier. Mais elle n’a pas empêché une expédition de scientifiques ukrainiens de voyager depuis Kiev jusqu’à leur base de recherche de l’Antarctique. Le périple leur a pris plus d’un mois au lieu d’une semaine. Sébastien Gobert nous raconte cette traversée mouvementée.

Pourquoi organiser un tel voyage au moment de la pandémie?

Il était prévu de longue date. L’équipe composée de 11 personnes – 6 scientifiques et 5 accompagnateurs – devaient se rendre à leur base avant le début de l’hiver dans l’hémisphère sud. C’était la 25ème mission ukrainienne en Antarctique, depuis que le Royaume-Uni a donné la station d’Akademik Vernadsky (à l’époque nommée Faraday station) à l’Ukraine nouvellement indépendante en 1994.

Mais tout s’est accéléré mi-mars quand le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a annoncé vouloir fermer les frontières. L’équipe a pris l’un des derniers vols pour Istanbul, chargée des 1200 kilos de bagages que les membres avaient prévu d’emmener. Seulement, à l’arrivée, ils apprennent que le monde s’est encore rétréci pendant leur trajet: leur correspondance pour la Colombie a été annulée.

L’équipe rapatriée à Kiev

Les Ukrainiens ont été confinés pendant 4 jours en Turquie avant d’être rapatriés vers Kiev et de nouveau confinés à l’arrivée. A ce moment là, la 25ème expédition scientifique paraîssait bien compromise. Mais c’était sans compter sur la détermination des chercheurs.

Comment se sont-ils débrouillés pour contourner les mesures de confinement qui étaient imposées dans la plupart des pays du monde?

Il a fallu beaucoup de patience, des négociations diplomatiques dignes d’un film d’espionnage et la persévérance du chef de mission, le géophysicien Iouriy Trouba. Lui était parti pour mener sa sixième mission, et il lui était apparemment inconcevable de manquer une année entière de recherche. L’équipe a obtenu un laisser-passer vers le Quatar. De là, elle a embarqué sur l’un des derniers vols transatlantiques. L’avion était bondé, et Iouriy Trouba ne cache pas avoir eu très peur de se faire contaminer pendant le voyage. Une fois arrivés au Brésil, les Ukrainiens ont eu toutes les difficultés du monde à gagner le Chili. Ils ont du promettre de s’auto-confiner pendant deux semaines, dans un hôtel déserté de ses occupants. Et c’est seulement mi-avril, soit très tard dans la saison, qu’ils ont pu entamer leur traversée de six jours vers le continent blanc.

Ils “ont eu chaud”, si l’on peut dire. Ils sont effectivement arrivés à bon port le 21 avril. Quelles sont les conditions là-bas?

Visiblement, tout va bien. Iouriy Trouba assure que son équipe est arrivée avec le plein de matériel médical et des appareils de respiration Une partie de la station peut servir d’office de confinement, si un cas se déclare. Mais pour l’instant, tous les membres sont en bonne santé. Ils n’ont pas chômé après leur périple, car ils ont du décharger dans de mauvaises conditions météorologiques 140 tonnes de carburant, six conteneurs de produits alimentaires et plusieurs tonnes d’équipements.

Arrivée dans l’Antarctique.

Ils ont aussi libéré les membres de la 24ème expédition ukrainienne, qui les attendait de pied ferme pour rentrer, elle, en Ukraine. Ironie du sort, eux effectuent donc le voyage en sens inverse à travers un monde complètement changé.

Les membres de la 25ème mission se sont déjà attelés à leurs recherches et se préparent aux rigueurs de l’hiver polaire. Selon les règles de la station, un dîner festif est organisé chaque samedi, pendant lequel la consommation d’alcool est autorisé. Une discipline qui permet d’assurer la bonne entente entre scientifiques. Depuis trois ans, la base est aussi équipée d’un bon Internet, aussi les résidents peuvent garder contact avec leurs proches et leurs collègues.

Iouriy Trouba se dit très chanceux d’avoir accompli cette odyssée dans un contexte aussi imprévisible. Il s’estime d’ailleurs très heureux, et explique en plaisantant à moitié que l’Antarctique, désormais interdit aux touristes, est peut-être le dernier endroit du monde épargné par le coronavirus.

L’ingénieur et chef de mission Iouriy Trouba.

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