RFI: Au Prix Bayeux, les reporters de guerre courent après le temps

Du 5 au 11 octobre 2015, la ville de Bayeux, en Normandie, accueillait le prix des correspondants de guerre. Jeunes ou anciens, freelance ou titulaires, beaucoup dressent le même constat amer : ils n’ont plus le temps de faire leur métier comme ils le souhaiteraient.

Par François-Damien Bourgery

Ils se sont donnés rendez-vous à la Paillotte. Quelques dizaines de reporters venus assister à la grand-messe annuelle des correspondants de guerre sont là, dans ce bar du centre-ville de Bayeux, pour trinquer une dernière fois avant de reprendre le train. Le très chic Adrien Jeaulmes, veste en tweed et souliers lustrés, ancien officier parachutiste depuis quinze ans au Figaro, se tient, bien droit, à côté de Jon Swain, cheveux gris et veste sombre, 67 ans, dont trente-cinq au Sunday Times.

Pour ces journalistes occupés à parcourir le monde et couvrir les conflits qui le bouleversent, Bayeux est l’occasion de souffler, prendre le temps de se retrouver et discuter de leur métier. Le temps. Beaucoup l’affirment : il leur manque cruellement. L'un d’eux dit ainsi avoir le sentiment d’être trimbalé d’un conflit à l’autre. Et de dénoncer la « BFMisation »   du nom de cette chaîne de télévision d’information en continu  , « le matraquage » d’une radio pour laquelle il lui arrive de travailler. « Le jour où j’ai signé mon CDI, j’ai pleuré. C’était la fin de la liberté », avoue une consœur.

L’hystérie des médias

Pourtant, la situation n’est pas forcément plus confortable pour les freelance, payés à la pièce et travaillant généralement à leurs frais. Dans un secteur en crise, multiplier les collaborations est pour eux primordial. Mais quand l’actualité est brûlante, la course des médias à l’information malmène deux préceptes de leur métier : comprendre et vérifier. Stéphane Siohan, correspondant pour Le Figaro, iTélé et Canal+, venait à peine de s’installer en Ukraine lorsque les premiers manifestants ont investi la place Maïdan en novembre 2013. « Pendant six mois, ça a été l’hystérie. Les médias parlaient en permanence de l’Ukraine. On était appelés du matin au soir », confie-t-il.

Sébastien Gobert, correspondant pour RFI et Libération, y habitait déjà depuis deux ans. « A l’époque de Maïdan, je me levais tous les matins vers 5-6h pour les directs de la matinale. Ça se terminait vers 8-9h. J’avais quelques heures pour aller sur le terrain. Puis arrivait le rush de la mi-journée. Les quotidiens envoyaient leurs commandes vers 11h-12h. A 18h, nouveaux journaux radio. Et le soir, il fallait préparer les directs du lendemain », détaille-t-il. « On a l’impression d’être surinformés, mais l’est-on vraiment ? » se demande Sophie Nivelle-Cardinale. Primée à Bayeux en 2013 pour un reportage sur la bataille d’Alep, elle présentait cette année un film sur les victimes du régime syrien, fruit d’une longue enquête. « C’est important de prendre le temps ».

Sébastien Gobert, Stéphane Siohan, Pierre Sautreuil et Raphaël Yaghobzadeh sont reporters en Ukraine. « Les médias en parlaient en permanence », dit Stéphane Siohan à propos des premiers mois du conflit. François-Damien Bourgery/RFI

A Bayeux, les plus anciens se remémorent tous l’époque où la rareté des moyens de communication leur permettait de s’immerger pour mieux raconter. Jon Swain est de ceux-là. Après avoir couvert la guerre du Vietnam puis la chute de Phnom Penh, il s’installe à Bangkok en 1976. « En un an, raconte-t-il un brin nostalgique, je n’ai eu ma rédaction qu’une fois par téléphone. » « Dans les années 1980, les communications avec la rédaction étaient reléguées à un moment de la journée. L’espace était totalement dédié au reportage. On avait la possibilité de se perdre », se rappelle Jean-Paul Mari, grand reporter au Nouvel Obs pendant plus de vingt-cinq ans.

« Comme un chien étranglé par sa laisse »

« Ce qui a changé le métier, c’est le satellite », estime le volubile Didier François, ex-otage en Syrie et aujourd’hui à Europe1. Si les premières transmissions par satellite datent du début des années 1960, ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’elles se généralisent. La guerre du Golfe en 1991 est ainsi la première à être couverte en direct à la télévision. « Il fallait voir tous ces camions de télévision, c’était comme une armée ! », s’exclame encore Jon Swain vingt-quatre ans plus tard.

Théoriquement joignables partout tout le temps, les reporters disent devoir désormais batailler pour s’affranchir du contrôle de rédacteurs en chef abreuvés d’images et se pensant donc omniscients. « On est comme un chien étranglé par sa laisse », grince Jean-Paul Mari. « Les rédactions ne comprennent pas qu’on ne soit pas joignable en permanence », confirme Sophie Nivelle-Cardinale. Adrien Jeaulmes refuse pour sa part de faire des généralités. « Ça dépend des médias, des relations entre le reporter et sa rédaction », nuance-t-il. Il reconnaît toutefois être un privilégié. « Quand je suis parti en Syrie, j’ai retiré la puce de mon téléphone. La rédaction savait que si elle n’avait pas de nouvelles, c’est que tout allait bien », se souvient-il.

Pas question pour autant de parler du bon vieux temps. « Entendre dire que l’âge d’or, c’était les années 1970, ça me gonfle », s’agace Jean-Paul Mari. Avec du matériel à des prix abordables et des billets d’avion bon marché, partir en reportage n’a jamais était aussi facile, affirme-t-il : « L’âge d’or du reportage de guerre, c’est aussi aujourd’hui. » Les technologies ont certes évolué, rendant le terrain a priori plus accessible, mais le danger aussi. Du Sahel à l’Afghanistan, les reporters de guerre sont devenus des cibles. « Le plus dur, ce n’est pas d’aller sur le terrain, c’est d’en sortir. Et je sais de quoi je parle », ironise Didier François.

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