RFI: Les jeux sont-ils vraiment faits pour les casinos illégaux d’Ukraine?

Séquence “Bonjour l’Europe”, sur RFI, le 23/01/2019. Mis à jour le 12/01/2020

En Ukraine, les jeux seraient-ils faits pour les casinos et salles de jeux? Ils sont en fait illégaux depuis 2009, mais ils ont depuis prospéré dans la semi-clandestinité. Jusqu’à vendredi 20 décembre, quand le ministre de l’intérieur a ordonné leur fermeture en moins de 24 heures. Mais ce n’est pas aussi simple que cela. Dans le pays, la décision suscite de nombreuses polémiques, et démontre que l’agenda de réformes du président Zelenskyy n’est pas aussi évident à appliquer qu’il l’avait annoncé… A Kiev pour en parler, Sébastien Gobert

Ce lundi 13 janvier, trois semaines après la décision du ministre de l’intérieur, est-ce que les casinos ont effectivement été fermés?

Non, et j’oserais dire, évidemment que non. Selon les chiffres de la police, les autorités ont bel et bien procédé à des centaines de perquisitions, officiellement fermé quelques 900 salles de jeux, initié 440 procédures en justice et a saisi 11600 machines à sous et de l’équipement valant plusieurs dizaines de millions d’euros.

Mais Il y aurait en Ukraine plus de 8000 casinos, salles de jeux, loteries, organismes de pari… qui savent opérer, comme vous l’avez souligné, dans la clandestinité. Alors on ne peut pas imaginer que la partie s’arrête aussi facilement.

Ce que l’on a vu ces dernières semaines, c’est d’ailleurs une certaine inventivité de certains casinos, qui s’abritent désormais derrière les devantures de karakoés…

En fait, l’élément qui rend la décision politique d’autant moins crédible, c’est que le ministre de l’intérieur, Arsen Avakov, était déjà en poste en 2014. Il avait à l’époque ordonné la fermeture des salles de jeux, avec le même ton lénifiant. Cela n’avait rien changé.

Mais justement, pourquoi vouloir les refermer maintenant?

Les jeux de hasard, comme les coupes sauvages de boisь l’extraction de l’ambre ou encore la prostitution, ce sont des activités qui sont illégales en Ukraine, mais qui se développent pourtant au vu et su de tous depuis des années, en général grâce à la complicité et à la protection des autorités. Ce sont des paradoxes hérités du chaos criminel de la chute de l’URSS. L’ancien comédien et nouveau président Volodymyr Zelenskyy avait promis de légaliser les jeux de hasard pour les sortir de l’économie parallèle. LLa légalisation des jeux de hasard pourrait rapporter à l’Etat entre 200 et 360 millions de dollars d’impôts selon le ministère des finances, contre à peine 2 millions de dollars par an à l’heure actuelle.

Mais seulement voilà, le projet de loi que le président a déposé au Parlement a été rejeté à cause de la pression de lobbys et groupes mafieux sur les députés. C’est d’ailleurs un mauvais signe sur la capacité de Volodymyr Zelenskyy à tenir sa majorité. Alors il a décidé d’employer la force, et de tout fermer.

Mais dans cette affaire, est-ce que l’on est sûrs que le ministre de l’intérieur Arsen Avakov joue franc-jeu?

Non, et il est d’ailleurs la cible des critiques et plaisanteries en tout genre sur les réseaux sociaux. Arsen Avakov, c’est une personnalité très controversée, qui a survécu au changement de pouvoir grâce à son contrôle absolu des organes de sécurité. On le soupçonne en fait de contrôler lui-même les réseaux de salles de jeux de hasard, ou en tout cas d’en tirer profit.

Arsen Avakov: “Arsentchik, salut mon cher. Ferme dès aujourd’hui toutes nos machines à sous.”
Arsen Avakov: “J’ai compris, Arsen Borissovitch, je ferme tout maintenant”.

Il multiplie ces temps les effets d’annonce, par exemple en annonçant en grande fanfare la résolution de l’enquête sur le meurtre du journaliste Pavel Sheremet, en avançant des preuves jugées très insuffisantes par la société civile et des experts juridiques. On voit qu’il veut gagner des points très rapidement, sans doute pour s’assurer une survie politique. Cela peut illustrer aussi une rivalité qui s’installerait au sommet de l’exécutif, entre lui et le président. En tout les cas, cette affaire tout à fait ubuesque et ces effets d’annonce tonitruants montrent une chose: Volodymyr Zelenskyy a des soucis à contrôler la majorité absolue qu’il s’est offert au Parlement, et les promesses de réformes pour faire entrer l’Ukraine dans “une nouvelle ère” ne sont pas aussi claires que l’on pouvait le penser.

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