RFI: Les mineurs d’Ukraine ne veulent pas se laisser enterrer sans protester

Reportage diffusé dans l’émission “Accents d’Europe”, sur RFI, le 22/03/2018

Le complexe industriel et minier ukrainien, autrefois un des joyaux de l’économie soviétique, est en crise profonde depuis des années. La guerre dans l’est du pays a encore aggravé ces difficultés structurelles. Etre mineur, c’était auparavant un emploi prestigieux, et bien payé. Aujourd’hui, les gueules de charbon des mines d’Etat sont ignorés par le gouvernement, ne reçoivent plus leurs salaires régulièrement, et multiplient les grèves, même les grèves de la faim… Entre Myrnohrad et Kiev, Sébastien Gobert

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C’était fin février. Une dizaine de mineurs en grève avaient établi leurs quartiers dans une salle du ministère de l’énergie, à Kiev. A 600 kilomètres de chez eux, ils ont mené une grève de la faim pendant dix jours. Nous entendons Viktor Trifonov, un des syndicalistes meneurs du mouvement, dans une des vidéos tournées pendant la grève.

Quelques jours plus tard, c’est  dans son bureau de Myrnohrad que nous le rencontrons , une ville minière dans la région de Donetsk sous contrôle ukrainien.

Viktor Trifonov: Pendant la grève de la faim, il a fallu transporter un jeune homme à l’hôpital, on s’est rendu compte qu’il avait du diabète. C’est dangereux pour la santé, c’est sûr… Je suis conscient que ça ne n’est pas une solution. Mais personne ne propose de solution!

Viktor Trifonov est bien connu pour ses coups d’éclat. En 2016, lors d’une grève précédente, il s’était aspergé d’alcool et y avait mis le feu. Il en porte encore les cicatrices sur le visage.

Pour lui, cette nouvelle action visait  à alerter sur une situation dramatique. Une grève de la faim qui a fait suite à une grève générale devant les bureaux de la mine, sans résultat.

Viktor Trifonov: Je suis dans le secteur minier depuis plus de 30 ans. J’ai passé 25 ans à travailler sous la terre. Et je sais que les mines, c’est la seule chose à faire dans la région. Il n’y a pas d’autres employeurs. Et si on ne fait rien, il n’y aura bientôt plus personne ici. Déjà ils commencent à fermer les magasins, les écoles… Et pour ne rien arranger, nous sommes à 20 kilomètres de la ligne de front!

Les mines autour de Myrnohrad ne sont qu’une petite partie du bassin houiller du Donbass. L’essentiel des sites d’exploitation est de l’autre côté, dans les républiques auto-proclamées de Donetsk et Louhansk. Autour de Myrnohrad subsistent néanmoins des dizaines de mines, qui emploient des milliers de personnes et font vivre des villes entières.

Viktor Trifonov et ses collègues sont en lutte contre les mines d’Etat. La première raison du conflit, le gouvernement ne veut pas reconnaître. Mais elle est tout simple: les salaires, qui représentent moins de 200 euros en moyenne, ne sont plus payés régulièrement. A la mi-février, les arriérés représentaient l’équivalent de 25 millions d’euros, selon les syndicats de mineurs.

Serhiy Pavlov a lui aussi a fait la grève de Kiev

Serhiy Pavlov: Après dix jours de grève de la faim, ils nous ont payé un petit quelque chose. Nous avons repris le travail, mais on attend. On attend avril, pour voir s’ils nous paient  février et mars. Là, je peux déjà vous dire que pour janvier ils ne nous ont payé que 50% des salaires…

A Kiev, Mykhailo Volynets, ancien mineur,  homme politique, est  le chef du syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine. Il sait très bien que la situation est loin d’être résolue.

Mykhailo Volynets: En ce moment, ce sont les salariés d’une autre mine, appelée “Rodinska”, qui sont en grève. Le gouvernement ne leur a pas versé un kopeck depuis janvier. Si on ne se bat pas pour nos droits, et le respect de notre travail, personne ne va s’en soucier. On dirait que personne ne veut comprendre que c’est un travail très difficile.

Sur les 149 mines d’Etat, 55 sont situées en territoire ukrainien. Elles sont dénigrées depuis des années, qualifiées d’improductives et de très polluantes, mais surtout comme des puits sans fonds pour les finances publiques, et des foyers de corruption. L’ancien président Viktor Ianoukovitch en avait fait une source d’enrichissement personnel considérable, en détournant des subventions publiques et en pratiquant  l’extraction illégale du charbon. A en croire Mykhailo Volynets, le renversement du régime en 2014 n’a rien changé.

Mykhailo Volynets: La faute à qui? Au ministre, au gouvernement tout entier, aux institutions d’Etat, à l’inspection du travail, etc. Ils détournent l’argent des salaires pour se verser des pourboires, et assurer un revenu pour leurs patrons au sommet de l’Etat. 

Cette question de la corruption devient vite politique, voire géopolitique. En 2017, l’Ukraine a importé 17,4 millions de tonnes de charbon de l’étranger. Et malgré le contexte de conflit ouvert avec Moscou, 56% des importations provenait de Russie.

Mykhailo Volynets: C’est un paradoxe, n’est-ce-pas? Le gouvernement garantit les approvisionnements de charbon depuis la Russie. Alors qu’ici en Ukraine, nous avons des réserves de charbon pour des dizaines d’années! Mais ce gouvernement préfère se fournir auprès de l’agresseur, parce que l’importation coûte moins cher, et rapporte plus de bakchichs.

Le ministère de l’énergie n’a pas souhaité répondre aux questions que nous lui avons adressées pour préparer ce reportage. Dans l’une de ses dernières interventions sur la question, en consultation avec les grévistes de Myrnhrad, le ministre Ihor Nasalyk avait pourtant promis de prendre le problème à bras le corps.

Ministre Ihor Nasalyk: J’ai pris ma décision. Dans deux semaines, je vais me rendre à la mine, et je vais en prendre la direction personnellement. Je vais rester 3 semaines, et leur montrer ce que c’est d’être un manager efficace.

C’était le 21 février. Le 6 mars, le gréviste Serhiy Pavlov attendait toujours.

Serhiy Pavlov: Le ministre a annulé sa venue plusieurs fois. On nous avait promis une rencontre avec le Premier ministre. Il a annulé aussi. Donc on attend, encore, que les promesses soient tenues

Pour les mineurs et les syndicalistes, le mépris de l’Etat à leur égard est la pire des épreuves. Le risque serait que les autorités laissent pourrir la situation jusqu’à a un point de non-retour.

Mykhailo Volynets: Il y a un plan d’action pour privatiser les mines d’Etat. Nous ne sommes pas contre, si les nouveaux propriétaires sont plus efficaces que l’Etat… Mais ce plan ne nous donne aucune garantie sur l’emploi. Le risque, c’est que les mines soient privatisées et fermées directement après. Le ministre a déjà sous-entendu que 70% des mines des sites pourraient être fermées d’ici 2035… 

Anciens héros du progrès industriel, aujourd’hui travailleurs sous-classés et miséreux, les mineurs d’Ukraine travaillent dans une zone de guerre, dans les mines les plus dangereuses du monde en termes d’accidents mortels, autant que les mines chinoises. Ignorés, ils sont peut-être condamnés sur le long-terme. Les récentes grèves ont cependant montré qu’ils ne se feront pas enterrer sans faire parler d’eux.

Sébastien Gobert – Myrnohrad – RFI

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