RTS: Dernière ligne droite d’un entre-deux-tours aux limites du réel

Reportage diffusé dans l’émission Tout un Monde, sur la RTS, le 18/04/2019

Dernière ligne droite dans l’entre-deux-tours en Ukraine, avant le vote du 21 avril. 35 millions d’électeurs sont appelés à choisir entre le président actuel, Petro Porochenko, et le comédien Volodymyr Zelenskiy. Ce dernier a gagné le premier tour, et il est le grand favori des sondages, au terme d’une campagne inédite. Au lieu d’un affrontement d’idées, les finalistes se sont lancés des défis par vidéos interposés. Dans un pays en proie à une grave crise économique et à une guerre meurtrière qui se poursuit dans l’est, le duel pour la tête de l’Etat a souvent tourné à l’absurde. Sébastien Gobert en Ukraine

Ecouter le reportage ici: https://pca.st/L7Xf

Musique entraînante, lumière de film hollywoodien, petits effets de ralenti. Volodymyr Zelenskiy a le costume cintré et une allure sportive. Il s’élance sur le gazon du stade olympique de Kiev, et s’adresse directement à Petro Porochenko.

Volodymyr Zelenskiy: Je vous attend ici, au stade olympique. Pour un débat devant le peuple d’Ukraine.

Volodymyr Zelenskiy n’a presque pas fait campagne au premier tour, hormis une tournée de spectacles de son studio de divertissement, et des déclarations rapides. La demande d’un débat d’idées est donc très forte de la part des électeurs. Le comédien accepte, mais pose ses conditions.

Volodymyr Zelenskiy: Chaque candidat doit se soumettre à des examens médicaux pour déterminer si l’un d’entre nous est alcoolique ou toxicomane. Le pays a besoin d’un président sain.

Le ton de l’entre-deux-tours est donné, fait de commentaires insultants et de défis vidéos.

Volodymyr Zelenskiy: Je vous donne 24 heures.

Le style, la détermination et l’innovation de Volodymyr Zelenskiy frappent. Ils séduisent l’électorat des 18-35 ans, qui sont très présents sur les réseaux sociaux.

Au quartier général de Volodymyr Zelenskiy, Oleksandr Prokhovitch, 25 ans, gère une équipe de 16 volontaires qui sont les vrais maitres d’oeuvre de la campagne.

Oleksandr Prokhorovitch: Nous sommes très actifs sur Instagram, Facebook, Telegram et par email pour parler aux jeunes. Avant ils n’étaient pas incités à venir voter. Ce n’était pas tendance, c’était ennuyeux. Nous leur expliquons que ce n’est pas difficile, et c’est très important. S’ils ne viennent pas voter, quelqu’un d’autre décidera à leur place et ils n’auront que leurs yeux pour pleurer.

Mission accomplie au premier tour: les 18-35 ans se sont déplacés en masse, pour offrir une avance conséquente à Volodymyr Zelenskiy est conséquente. Petro Porochenko, un homme politique plus traditionnel, s’est retrouvé désemparé et forcé à réagir. Moins de 12 heures après le défi lancé par Volodymyr Zelenskiy, il publiait sa propre vidéo.

Le ton se veut plus sobre, plus présidentiel, malgré une petite pique à la fin.

Petro Porochenko: Mais si vous voulez le stade, ça sera le stade.

Ce slogan est repris en boucle sur les réseaux. Commence un jeu de chat et de la souris entre les deux candidats. Petro Porochenko est partout. Il se livre deux fois à des analyses médicales, il arpente les plateaux télé et il convoque un second débat. Volodymyr Zelenskiy ne s’y rend pas. Petro Porochenko saisit l’occasion pour le ridiculiser comme un lâche.

Petro Porochenko: N’ayez pas peur. ne fuyez pas le dialogue avec la nation ukrainienne.

Petro Porochenko marque quelques points en termes de communication et multiplie les promesses. Volodymyr Zelenskiy est plus absent que jamais et les doutes sur ses compétences à gouverner restent réels. Pourtant l’écart dans les sondages se creuse à son avantage. Pour un de ses consultants, Nikita Potourayev, il y a qu’une logique principale dans cette campagne inédite, c’est le dégagisme.

Nikita Potourayev: Moi et plusieurs de mes amis politologues, nous avons soutenu non pas la candidature de M. Zelenskiy, mais l’idée du changement radical des élites. des élites. En fait, nous voulons achever la révolution de 2014. Non pas dans la rue, mais dans les urnes.

Petro Porochenko jouera sa dernière carte au débat organisé le 19 avril. Comme Volodymyr Zelenskiy l’avait exigé, ce sera au stade olympique. Entre les échos sonores de l’arène, et devant des milliers de spectateurs, l’atmosphère ne sera sans doute pas propice au débat d’idée. Elle marquera la fin d’une campagne à la limite de l’absurde, où le programme de gouvernement n’est apparemment pas très important. Et quel que soit le résultat, elle a déjà changé le cours de l’histoire politique en Ukraine.

Previous
Previous

RFI: Une dé-nationalisation de PrivatBank lourde de conséquences

Next
Next

RFI: En Ukraine, un jeu de chat et de la souris des débats d’entre-deux-tours