RTS: Un nouveau pont à Kiev très apprécié, mais pas si transparent

Reportage diffusé dans l’émission Tout Un Monde, sur la RTS, le 29/05/2019

A Kiev en Ukraine, l’inauguration d’un pont piéton a fait sensation le weekend dernier. C’est une prouesse technologique, faite de verre et d’acier, qui relie deux collines historiques de la capitale. Le maire, ancien champion de boxe international Vitaliy Klitschko veut en faire un signe de la modernité et de l’attractivité de sa ville. Bémol: le pont est entouré de controverses, sur son coût vertigineux et son impact environnemental. Sans oublier qu’un cabinet d’architectes de Zürich assure que la municipalité a utilisé ses dessins sans l’associer au projet… A Kiev, Sébastien Gobert. Photos: Niels Ackermann / Lundi13

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Chaque année, la journée de Kiev est une occasion festive de célébrer la fondation de la ville, en l’an 482. Chaque année, des milliers de personnes affluent dans le centre pour profiter des concerts et animations. Cette année, c’était une des premières fois que le maire Vitaliy Klitschko était aussi souriant.

Klitschko: Chers amis, je suis très heureux de vous voir en ce jour anniversaire de notre ville! (Applaudissements)

Ce 25 mai, il vient inaugurer une passerelle piétonne et cycliste qui enjambe une route en descente et relie deux collines historiques de la ville. La vue est spectaculaire depuis les rambardes mais surtout à travers les panneaux de verre sur lesquels on peut marcher. Lors de l’inauguration, Vitaliy Klitschko veut montrer leur solidité en sautant dessus avec son frère Volodymyr, lui aussi champion de boxe.

Klitschko: Tu n’as pas peur, ça va? (rires) Tu es prêt? A trois on saute. (sauts) Vous voyez, ça tient bien!

32 mètres de haut, 212 mètres de long, un poids de 460 tonnes. Le pont est une prouesse technologique, une première en Ukraine. Sa construction a été validée tard par la municipalité. Elle s’est déroulée à marche forcée, jour et nuit, pour que les travaux s’achèvent d’ici à la journée de Kiev. Le pari est tenu, et fait le bonheur des passants.

Deux jeunes filles:
Fille 1 L’idée me plaît vraiment, le pont est très original
Fille 2: Mais c’est très haut, j’ai le vertige.
Fille 1: Et c’est très original d’avoir des parties en verre transparent.

La Kiévienne Maria Mykolaivna:

Maria Mykolaivna: C’est très joli. Et ça nous simplifie enfin la balade d’un parc à un autre.

Le pont créée une continuité de 5 kilomètres de promenade à travers des sites historiques et des espaces verts qui longent le majestueux fleuve Dnipro. Vitaliy Klitschko veut faire de la passerelle le symbole du développement économique et touristique de sa ville, mais aussi du savoir-faire ukrainien. C’est un architecte ukrainien qui a mis son nom sur le concept. Seulement voilà, l’idée serait née en fait à Zürich, en 2013.

Stephanie Schafroth du cabinet Leupi & Schafroth Architekten AG
avait alors participé à un concours public de la ville de Kiev. Son équipe avait dédié 700 heures de travail à l’élaboration du projet, qui avait été pré-sélectionné en même temps que celui d’un cabinet espagnol. La révolution de l’hiver 2013-14 avait bouleversé les plans de construction. C’est seulement en 2017, Stephanie Schafroth est contactée par Vitaliy Klitschko pour relancer une collaboration. mais cela n’aboutit pas, et l’architecte pense en avoir terminé.

Stephanie: Il y a quelques semaines, des amis qui ont effectué un voyage à Kiev nous ont envoyé des photos pour nous féliciter. Nous n’avons pas compris, ça ne pouvait pas être notre pont. Mais nous avons regardé, et tout ressemble tout à fait à notre pont.

Stephanie Schafroth contacte la presse. L’architecte ukrainien s’indigne, pour revendiquer la pleine paternité du projet. Dans une réponse écrite, la municipalité de Kiev se contente de rappeler que l’idée est ancienne, et que le projet a été mené en toute transparence. Les réponses sont néanmoins confuses. Et si Stephanie Schafroth ne peut prouver une utilisation illégale de son travail, elle est convaincue que son idée de base à été détournée.

Stephanie: Il nous semble que notre projet a été la recette de cuisine de base, et ils ont juste changé quelques ingrédients dans la recette. Donc ce n’est plus exactement notre pont.

Reste que la réalisation ukrainienne a entraîné plus de dégâts que le projet zurichois ne le prévoyait. Une parcelle entière d’arbres a été coupée, sur un terrain pourtant protégé par l’UNESCO.

Stephanie: Ce qui nous dérange aussi, c’est que la raison de la mairie de Kiev de ne pas donner suite aux négociations était le coût. Ils assuraient que notre projet coûtait trop cher.

Trop cher, cela voulait dire 6 millions de francs à l’époque. Pourtant la municipalité a en fin de compte dépensé 10 millions. En revanche elle n’a pas versé le prix de 10-12000 francs que les finalistes suisses et espagnols devaient recevoir.

Pour les Kiéviens, les dépenses ne sont pas finies pour autant: le jour suivant l’inauguration, un panneau de verre a implosé sur le pont. Dans la semaine qui a suivi, tous les panneaux ont du être changés. Beaucoup y voient le début des problèmes, après une construction hâtive.

Dépêché sur place pour constater les dégâts, Vitaliy Klitschko dénonce plutôt des vandales et des ennemis politiques. Il avait perdu son sourire.

Klitchko: Je prie tous les Kiéviens de prendre soin de ce pont. C’est notre bien commun, c’est avec notre argent à tous qu’il a pu être construit.

Un bien commun que le maire entend utiliser pour assurer sa réélection l’an prochain. Le “pont de Klitschko”, comme le surnomment déjà les médias, fait bien le ravissement des promeneurs. Mais il n’est pas sûr qu’il se tienne au-dessus des controverses, et qu’il incarne le renouveau de Kiev que le maire avait promis.

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