TDG: Après une partie de ping-pong, le comédien Zelenskiy endosse le costume de l’homme sérieux
Reportage publié dans La Tribune de Genève, le 31/03/2019
«Je remercie tous les Ukrainiens qui n'ont pas voté pour la plaisanterie!» Sous les applaudissements de son équipe et dans le brouhaha des journalistes amassés dans son quartier général, Volodymyr Zelensky a endossé son costume d'homme sérieux: cravate, costume, remerciements à sa femme, et à la nation.
Sur un écran géant derrière lui, les résultats des sondages de sortie des urnes. «Il y a beaucoup de sondages, lance-t-il dans l'attente de résultats officiels. Mais nous voyons déjà qu'il n'y a qu'un seul vainqueur!» Il aurait récolté environ 30% des votes. Le président actuel Petro Porochenko se hisserait au second tour avec environ 18% des voix. L'ancienne égérie de la révolution orange, Ioulia Timochenko, serait éliminée, avec moins de 14% des voix. Elle s'est empressée de dénoncer la «manipulation de la méthodologie» utilisée pour réaliser les sondages.
Dix minutes avant son intervention, le comédien-candidat disputait une partie de ping-pong devant les caméras. C'était peut-être la dernière fantaisie qu'il pouvait se permettre, avant d'être officialisé favori pour le poste de président. «On peut d'ores et déjà assurer que nous avons changé le cours de l'histoire politique ukrainienne», s'exclame Nikita Potourayev, consultant politique de la campagne de Zelensky. Ou plutôt, de sa non-campagne. Fort de sa popularité d'acteur, le comédien a snobé les interviews aux médias et débats avec ses opposants, pour se rabattre sur une communication sur les réseaux sociaux, et une tournée de spectacles de son studio «Kvartal 95».
«Incorruptible»
«C'est cette simplicité qui a séduit les Ukrainiens, et cela montre à quel point l'idée d'une personnalité fraîche et incorruptible est nécessaire», poursuit le consultant pour expliquer le succès de ce «dégagisme» à l'ukrainienne. À l'image du personnage de président improvisé et intègre qu'il joue à l'écran, Volodymyr Zelensky a multiplié les promesses de rupture avec l'ancien monde, et de nettoyage du système oligarchique. Son quartier général? Une boîte de nuit située sous un héliport construit illégalement par Viktor Ianoukovitch, président déchu en 2014. «L'idée, c'est qu'en cas de victoire, ni Petro Porochenko ni aucun autre corrompu ne puisse s'enfuir en hélicoptère, comme l'avait fait Ianoukovitch», plaisante Oleksandr Vigliano, un membre de l'équipe de communication du Kvartal 95.
Pourtant, Petro Porochenko n'a pas dit son dernier mot. L'homme, qui a investi des moyens conséquents dans sa campagne de réélection, est apparu austère à son quartier général, dans un ancien arsenal transformé en musée. «Je vous ai compris, a-t-il lancé aux électeurs de Volodymyr Zelensky. Je comprends votre motivation, mais attention à ne pas atteindre le point de non-retour. Tout ce qui a été réalisé ces cinq dernières années pourrait être perdu.» De fait, Petro Porochenko présente à son actif la libéralisation du régime de visas Schengen, des réformes structurelles, la stabilisation financière du pays, et la défense d'une posture internationale contre l'agression de la Russie.
Il est néanmoins très fragilisé par ses manquements dans la transformation du système judiciaire et de nombreux scandales de corruption. «Il a utilisé toute sorte de manipulations et sales coupes», analyse Nikita Potourayev. Petro Porochenko est soupçonné d'achats d'électeurs, d'utilisation des ressources de l'État ou encore d'alliances douteuses avec des oligarques prorusses. «Je m'attends à de sérieuses attaques dans l'entre-deux tours. Sans des coups en dessous de la ceinture, Porochenko ne peut espérer gagner.»
La diva ne lâche rien
Encore faut-il déterminer la nature de ce second tour. Dès le début de soirée dimanche, des centaines de jeunes se sont rassemblés aux abords de la commission électorale centrale. Nombre d'entre eux sont à la solde de Ioulia Timochenko. L'éternelle diva de la politique ukrainienne semble prête à se battre bec et ongles dans le décompte des voix, et refuse d'évoquer un quelconque soutien à l'un des favoris. Les résultats officiels ne sont attendus que dans la journée de lundi. «Dans quelques heures, ce sera le 1er avril, a lancé Petro Porochenko dimanche. Riez si vous le voulez encore. Mais à partir du 2 avril, il faudra revenir aux choses sérieuses.»