Ukraine : le périlleux calvaire du militant de la liberté

Article publié sur le site de MyEurop, le 02/10/2011En Ukraine, il y a peu de place pour les activistes étudiants et militants alternatifs. Oleksander Volodarski, blogueur engagé, tout juste sorti de prison pour avoir simulé un acte sexuel en face du Parlement en 2009, nous décrit une société paralysée par un dirigisme néo-soviétique étouffant pour une nouvelle génération qui prépare son printemps.
Le 22 septembre en début d'après-midi, des jeunes étudiants et activistes se rassemblent sur une place du centre ville de Kiev afin de protester contre un sommet du Conseil de l'Europe consacré à l'éducation qui se tient quelques mètres plus loin.Ils sont à peine une centaine, nerveux, inexpérimentés et très vite débordés par les forces de police et une foule de journalistes. Après quelques bousculades et l'arrestation de quatre manifestants, ils se répartissent en petits groupes timides et s'efforcent de débattre du danger de la "commercialisation" de l'éducation à travers le monde.L'amateurisme des militants n'est pas une surprise en Ukraine, pays encore fortement marqué par le dirigisme vertical soviétique et la paralysie quasi-totale de la société civile qui s'en est suivie. Et pourtant, on trouve des activistes de plus en plus expérimentés et motivés. Parmi eux, Oleksander Volodarski, engagé de longue date, pour qui l'apprentissage du militantisme s'est fait en prison.

Hiver, Sexe et Parlement

Originaire de Lugansk, dans l'est ukrainien, il étudie en Allemagne, où une partie de sa famille réside. Il y développe un parcours classique de militant gauchiste, en se familiarisant avec des idées anarcho-syndicalistes et antifascistes, en tenant un blog protestataire et en prenant part à des manifestations étudiantes. Des pratiques qu'il emporte avec lui à son retour en Ukraine.Dédiant sa lutte à la défense d'un "communisme libertaire", sa cible de prédilection devient naturellement ce qu'il dénonce comme une série de "lois morales". Celles-ci régissent les notions de morale, de mœurs et de liberté d'expression et sont interprétées de manière très stricte par la redoutable Commission des Morales Publiques. Selon lui, l'Ukraine est sous le joug de multiples formes de censure, à la fois politique, financière, morale et religieuse. Un joug qu'il entend secouer par des méthodes décalées et inédites dans son pays.Après plusieurs actions, plus ou moins couronnées de succès, il entreprend ainsi de saisir l'opinion publique sur la définition de moralité en Ukraine et les bornes de la décence. Un matin de novembre 2009, il se rend avec une amie devant la Verkhovna Rada [le Parlement]. Sous les regards ébahis de quelques badauds matinaux et de journalistes prévenus à l'avance, ils se déshabillent complètement et entament la simulation d'un acte sexuel. Comme Oleksander le confesse, cela aurait du être

un réel acte sexuel, mais le froid, la police et le manque de temps nous en ont empêché.

Un "crime sans victime"

Les gardes autour du Parlement ne sont en effet pas longs à intervenir et à les appréhender tous les deux. Mais l'objectif est atteint: Oleksander estime avoir remis en question la légitimité de l'Etat à définir un "acte immoral". Interrogé sur le choix de ce moyen d'expression, il affirme qu'il faut

être radical pour interpeller les gens sur un problème qui ne les touche pas directement. La plupart des gens en Ukraine ne se sentent pas abusés par la censure. Ils n'y pensent tout simplement pas.

Et de fait, l'affaire fait du bruit. La question est abordée à travers les médias et quelques personnalités éminentes prennent la défense du jeune blogueur. Ce qui ne le sauve pas pour autant. A son procès pour "hooliganisme collectif", d'autres célébrités viennent renforcer l'accusation, tels que le patriarche moscovite de l'Eglise orthodoxe d'Ukraine. Celui-ci, bien qu'absent de Kiev le matin des faits, s'estime "blessé" par la simulation d'Oleksander, qu'il assimile à un crime. L'activiste est condamné à un de prison avec sursis, une peine qu'il juge disproportionnée pour ce qu'il considère comme un "crime sans victime".

La prison, comme au temps de l'URSS

L'expérience de la prison affecte fortement le jeune homme. En attendant son procès, il est incarcéré dans une maison d'arrêt de Kiev. Il y partage des cellules de 20 places avec plus de 35 autres détenus. Au beau milieu de l'hiver, le chauffage est réduit au minimum, les douches accessibles une fois par semaine, la nourriture "immangeable". Il en sort au bout d'un mois et demi, atteint d'une pneumonie. Après sa condamnation, il est transféré en centre de réhabilitation, où ses conditions de détention s'améliorent quelque peu.Il y reste six mois, et est libéré à la fin juillet 2011. Comme il l'explique avec un sourire, pour prouver que son passage en prison a eu un impact moralisateur positif, la première chose qu'il fait est de poster sur son blog et de faire l'amour, cette fois pour de vrai.

La lutte ne fait que commencer

Très vite, il se relance de plus belle dans un militantisme actif et perfectionné. Avec l'aide de nouveaux amis, dont certains rencontrés en prison, il multiplie les organisations et encadrements de forums et manifestations. Comme il l'explique, son incarcération ne l'a pas dissuadé de mener d'autres actions de ce genre, mais lui a au contraire montré la nécessité de mieux planifier ses initiatives et de prendre plus de garanties, à la fois techniques et juridiques.Il prépare en ce moment une plainte contre le tribunal de Kiev qui l'a condamné, qu'il entend bien soumettre à la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.Avec Oleksander et une poignée d'activistes ayant vécu des expériences similaires, le militantisme estudiantin et anarcho-syndicaliste a de beaux jours devant lui en Ukraine. Pour eux, la lutte ne fait que commencer.

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