MyEurop: Morses et Poissons sur le Dnipro
Article publié sur le site de MyEurop le 06/02/2012Titre officiel (choix de la rédaction) J'ai plongé dans l'eau glacée du Dniepr!
Poissons et Morses
Assis en cercle au milieu du fleuve, un groupe de trois hommes fait mine de pécher. Malgré une forte pollution des eaux et la disparition de nombreuses espèces de poissons à la suite de la construction de barrages et réservoirs, on peut encore avoir la chance d'attraper brèmes, perches, carpes ou encore gardons. Mais pour Vitali et ses amis, ça n'est pas le plus important.Emmitouflés dans plusieurs couches de vêtements, armés d'un thermos de grog et d'une guitare, ils sont ici pour passer un bon moment entre amis.
C'est une tradition pour nous, nous venons ici chaque dimanche, quand notre Dnipro est gelé. On se tient chaud mutuellement, et l'air frais est revigorant,
confie-t-il.Et quid du poisson ? "S'il y a en, c'est bien, sinon, nous n'allons pas lui courir après... De toutes les manières je ne conseillerais pas de manger de poisson du fleuve, le fond est un peu sale", explique-t-il avec ironie.
Respiration bloquée
On se rapproche de la rive, où un groupe d'une quinzaine de personnes s'attroupe autour d'un trou creusé dans la glace, qui laisse apparaître une eau verdâtre. On rejoint ainsi des "Morse" ("Morzh" en ukrainien et russe), des baigneurs du froid. Après quelques échauffements, on se dévêtit prestement.L'un après l'autre, hommes et femmes se jettent dans l'eau. Le froid pénètre instantanément la peau, bloque la respiration pendant un dixième de seconde. On marche dans l'eau pour s'éloigner de la rive et s'enfoncer plus en profondeur.Une fois immergé à la moitié du corps, une grande bouffée d'air, et on plonge la tête. Il faut, après, sortir rapidement de l'eau, se sécher, et s'étirer un peu plus, avant de replonger une seconde fois.Étonnamment, on s'habitue vite au froid intense, à l'eau et à la glace, qui rendent la température de l'air, pourtant de -10° ce dimanche matin, bien plus acceptable, presque agréable. Aux abords du trou, les passants, curieux et sidérés, semblent, eux, transis de froid à la simple vue de la scène.
La tradition de la résistance
La baignade dans l'eau glacée est une tradition séculaire en Europe centrale et orientale, traditionnellement marqués par des hivers rigoureux. Le 19 janvier, lors de l'épiphanie orthodoxe, popes et moines bénissent les cours d'eau et lacs, en général gelés, en présence d'hommes politiques et de dignitaires de l'Etat. Il est populaire de se baigner ce jour-ci afin de bénéficier de la bénédiction religieuse. La pratique perdure tout l'hiver.Dans les régions orientales de l'Europe, les techniques diffèrent. Certains y vont entièrement nus, d'autres en maillot de bain. Soit on privilégie une trempette rapide, soit l'on préfère rester dans l'eau quelques minutes, pour s'exercer à une résistance prolongée au froid. Les choix divergent encore sur le choix du "remontant" après la baignade : thé, chocolat chaud, vodka ou grog.Mais partout, les motivations des "morses" sont les mêmes."C'est l'idéal pour commencer de bon pied ma journée", affirme, enthousiaste, Iryna.
Ca fluidifie la circulation du sang, renforce l'acceptation du froid et le système immunitaire en général, et me donne une énergie sans pareil pour le reste de la journée! Cette tradition est l'une des raisons pour lesquels les Ukrainiens et les Slaves en général ont survécu à tant d'hivers extrêmes".
Pour elle, le froid n'est pas une excuse pour s'enfermer chez soi, mais au contraire une opportunité de profiter d'une nature changée, éphémère, unique.Un avis partagé par le Ministre des situations d'urgence ukrainien, Victor Baloga. Dans un récent communiqué de presse, il explique que
le meilleur moyen de se prémunir du froid est de faire du sport et de se baigner dans l'eau glacée".
Et d'exhiber, sur le site du Ministère, des photos de lui-même, hilare, accomplissant son rituel hebdomadaire de baignade.
131 morts
Mais alors que la vague de froid polaire devrait se prolonger jusqu'à la mi-février, les Ukrainiens qui n'ont pas la chance de pouvoir se calfeutrer dans des logements bien isolés, n'ont, eux, vraiment pas le sourire.131 personnes ont succombé à la suite d'hypothermies et graves engelures au cours des dix derniers jours. Si la majorité des victimes sont des sans-abris, on a retrouvé une trentaine de personnes mortes gelées à leur domicile. Plus de 1.200 personnes ont été hospitalisées pour engelures et hypothermies.Les autorités n'ont pas déclaré l'Etat d'urgence, mais ont mobilisé des centaines de policiers, militaires et assistants sociaux. Plus de 3200 points de secours, ce qu'on appelle ici des "points de chaleur", ont été déployés dans tout le pays, offrant assistance, repas chaud, couvertures et premiers soins. 75.000 personnes en auraient bénéficié depuis le 27 janvier.
Impréparation gouvernementale
Dans tout le pays, la vie quotidienne s'est ralentie. Nombre d'usines se retrouvent paralysées. La circulation routière et ferroviaire est perturbée dans plusieurs régions. Près de 400 000 écoliers sont confinés à la maison, à la suite de la fermeture de quelques 3000 établissements scolaires jusqu'à nouvel ordre.Dans un pays qui est rarement épargné par la rigueur hivernale, l'impréparation du gouvernement est sévèrement critiquée. Les premiers points de chaleur n'ont été ouverts qu'après le début de la vague de froid. Dans les rues des grandes villes, le déneigement est mal assuré et les services sociaux et médicaux peinent parfois à circuler.On pointe aussi du doigt depuis des années le manque d'aides pour accroître l'efficacité énergétique et l'isolation des habitations, ce qui explique les décès à domicile.