RSE: Ukraine: L'élection sans fin
Brève publiée sur le site de Regard sur l'Est, le 03/11/2012L'Ukraine n'en finit plus de dépouiller ses bulletins. Les bureaux de vote ouverts pour les élections législatives ont officiellement fermé dimanche 28 octobre à 20h, heure locale. Mais depuis, le processus de compte des voix s'éternise dans plusieurs circonscriptions. Samedi 3 novembre, alors que la Commission Centrale Electorale (CEC) s'était engagée à fournir les résultats définitifs ce jour, 5 circonscriptions tiennent encore le pays en haleine. Et jettent un sérieux doute sur la transparence du scrutin dans son ensemble.58% des 36 millions d'électeurs ukrainiens s'étaient rendus aux urnes, dimanche 28 octobre, pour renouveler les 450 sièges de la Verkhovna Rada (Parlement). L'élection devait départager le Parti des Régions (PoR) du Président Victor Ianoukovitch et une opposition très critique, dans un contexte de montée de l'autoritarisme de l'exécutif, de restriction des libertés fondamentales, notamment de la liberté d'expression, et de persécution politique des opposants au pouvoir. Ioulia Timochenko, égérie de la Révolution Orange de 2004, ancienne Première Ministre et adversaire principale de V.Ianoukovitch, avait d'ailleurs voté du fond de son hôpital-prison à Kharkiv. Elle y purge une peine de 7 ans de prison, à la suite d'un procès globalement dénoncé comme politisé. Les principaux partis d'opposition, «Opposition Unie – Patrie», «Udar» (Coup de Poing) du champion de boxe Vitali Klitschko, et le parti nationaliste «Svoboda» (Liberté) s'étaient alliés, dans une certaine mesure, pour faire face au PoR. Ils avaient de même annoncé la possibilité d'une coalition parlementaire, une fois les résultats publiés.Mais dès l'annonce des premières estimations à la sortie des urnes, les allégations de fraudes et irrégularités, qui avaient déjà émaillé la campagne, ont fait les gros titres. Le soir même, Arseniy Iatseniouk, leader de «Patrie» constatait que «l'élection a été entachée de fraudes généralisées. Alors que les bureaux de vote ont fermé dans le pays, les taux de participation continuent d'augmenter à l'est. Il y a encore des gens qui votent là-bas!» Même son de cloche chez les autres candidats, ainsi que chez les observateurs, ukrainiens et internationaux. Lundi 29 octobre, Wallburga Habsburg Douglas, coordinatrice de plusieurs missions d'observation internationales telles que l'OSCE, le Conseil de l'Europe et le Parlement européen, déplorait que, «si on considère les abus de pouvoir et le rôle excessif de l'argent dans cette élection, le progrès démocratique en Ukraine semble s'être inversé». Pour Andreas Gross, chef de la mission d'observation électorale du Conseil de l'Europe, «les Ukrainiens méritent de meilleures élections … L'oligarquisation' du processus électoral n'a pas permis aux citoyens de s'approprier le scrutin, ni même de faire confiance au processus».De manière contradictoire, Anna Herman, conseillère spéciale du Président Ianoukovitch, interprète ces critiques comme un signe positif. «Les observateurs internationaux ont pu faire leur travail dans notre pays sans contrainte. Leur avis est très important pour nous. L'ambassadeur de l'Union européenne a souligné que les mécanismes démocratiques fonctionnaient bien en Ukraine … Les rapports montrent que nous sommes sur la bonne voie, que nous sommes capables d'organiser des élections dignes d'un pays européen. C'est notre plus grande victoire». Mais pour Olha Aivazovska, coordinatrice de l'ONG ukrainienne d'observation des élections «OPORA», «l'Ukraine a régressé dans l'organisation d'élections démocratiques … Dans le contexte d'un système électoral mixte [une partie des candidats élus au scrutin proportionnel, une autre au scrutin majoritaire], l'utilisation illégale de ressources administratives et l'achat d'électeurs a eu un impact significatif sur le déroulement de la campagne, qui n'a pas globalement pas favorisé la clarté des résultats. Ces violations ont été systématiques en soi».Les circonscriptions au scrutin majoritaire, dans lesquelles des personnalités locales se sont affrontées pour obtenir l'adoubement de leurs riverains, ont été le théâtre des plus sérieuses violations, telles que l'utilisation de ressources administratives par des candidats proches des autorités, l'intimidation d'opposants, de journalistes et d'observateurs et l'offre d'avantages financiers ou matériels aux électeurs. A travers tout le pays, les votes se seraient monnayés entre 5 et 50 euros, ou grâce à des reconstructions de routes et des rénovations d'immeubles. C'est maintenant le compte des voix qui défraie la chronique. Dans les circonscriptions où la compétition était serrée, les membres de commissions électorales ont été accusés de retarder volontairement le dépouillement, afin de jouer de l'effet d'énervement et de fatigue des observateurs. Détérioration de bulletins et ré-écriture des résultats après dépouillement ont aussi été monnaie courante.Le cas le plus emblématique des fraudes est venu jeudi 1er novembre au soir, dans la circonscription n°132, à Pervomaisk, dans l'oblast de Mikolaiv. Le candidat de «Patrie», Arkadiy Kornatsky, y avait été donné gagnant du scrutin avec 39,66%, alors que son opposant du PoR, Vitaliy Travianko, n'avait récolté que 34,09%. Un résultat dans un premier temps validé par la CEC, qui a néanmoins annoncé par la suite la victoire de V.Travianko avec 39,97% des voix. Après les protestations de l'opposition, une unité des forces anti-émeutes «Berkut» a fait irruption dans le bâtiment de la commission électorale locale pour s'emparer des bulletins et les acheminer vers la CEC. L'intervention s'est faite dans la violence, des traces de sang ont maculé les abords du bâtiment, dans ce qui a été dénoncé comme une tentative de couvrir la fraude. Après un vif émoi provoqué par la diffusion des vidéos de l'offensive policière sur Internet, les bulletins ont été rendus à la commission, qui procède depuis à un recompte. Des cas de violence et d'intervention de la police à coup de gaz lacrymogènes ont été constatées dans plusieurs autres circonscriptions. Dans certaines d'entre elles, des membres de commission électorale ont tout simplement disparu sans laisser de traces.Samedi 3 novembre, à 18h, heure locale, 99,82% des bulletins sont dépouillés en Ukraine. 5 sièges sont encore en ballottage, mais on peut déjà apprécier la répartition des pouvoirs dans le prochain Parlement. Le PoR remporte 30% des voix à la proportionnelle. Grâce au scrutin mixte proportionnel-majoritaire, il obtient 186 sièges au Parlement. De la même manière, «Patrie» est crédité de 25,53% et de 105 sièges, «Udar» de 13,95% et de 40 sièges, le parti communiste de 13,18% et 37 sièges, et «Svoboda» de 10,44% et de 32 sièges. 50 sièges reviennent à des candidats indépendants et à de petites formations. Le caractère définitif de ces résultats demeure incertain. L'hebdomadaire «The Kyiv Post» a cité Zhanna Usenko-Chorna, membre de la CEC, indiquant qu'il était «impossible» de calculer les résultats avec exactitude dans plusieurs douzaines de circonscriptions. Un autre membre, Mikhail Okhendovsky, a déclaré que la CEC prendrait des mesures «appropriées» quant à de possibles recomptes. Ce qui pourrait déboucher, le cas échéant, sur la réorganisation au moins partielle du scrutin.