Article publié dans La Libre Belgique, le 02/05/2013Les températures désormais estivales à Kiev n’ont pas été le seul motif de réconfort pour les partisans de Ioulia Timochenko qui campent depuis août 2011 sur l’avenue Khreshatyk, l’artère principale de la capitale ukrainienne. En reconnaissant, le 30 avril, l’arrestation de l’ancienne Première ministre comme "arbitraire et illégale", la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg a avalisé les nombreuses accusations de "justice sélective" qui se sont élevées, en Ukraine et à l’étranger, depuis deux ans. L’avocat de Ioulia Timochenko, Serhiy Vlasenko, qui s’estime lui aussi victime d’une "persécution politique", s’est déclaré satisfait que les juges admettent que les poursuites contre sa cliente n’avaient "rien à voir avec le droit".
"Je me sens moralement libre et heureuse"Toujours derrière les barreaux de sa cellule à Kharkiv, l’ancienne égérie de la Révolution Orange de 2004 a fait part de son soulagement d’avoir "enfin été reconnue comme une prisonnière politique", dans un communiqué transmis par son parti "Batkyvshina" (Patrie). La Cour n’a cependant pas donné raison à la plaignante concernant ses nombreuses allégations de mauvais traitements, voire de torture. Ce qui représente un certain démenti pour elle, qui avait clamé à de nombreuses reprises être victime de pressions et violences.Pour sa fille Yevguenia, c’est néanmoins "la première victoire, le premier pas vers sa pleine réhabilitation politique et sa libération immédiate". Une opinion partagée par l’ensemble des forces d’opposition au régime de Viktor Ianoukovitch. "Le gouvernement ukrainien doit finalement admettre son erreur politique, et trouver le courage de libérer Ioulia Timochenko", a déclaré l’ancien boxeur et étoile montante de l’opposition, Vitali Klitschko.Sur l’avenue Khreshatyk, les espoirs des militants sont néanmoins ténus. Mikhail Chorin, du bureau du procureur général, s’est empressé de confirmer que l’arrestation de l’ex-première ministre avait été "parfaitement légale". Tout en reconnaissant qu’elle avait été décidée en vertu d’un ancien code pénal hérité de l’époque soviétique, aujourd’hui invalide.Le ministère de la justice a souhaité étudier l’arrêt avant de formuler tout commentaire, indiquant qu’il disposait de trois mois pour faire appel de la décision, ce qui pourrait encore prolonger la procédure. Et le 27 avril, une commission présidentielle a rejeté la possibilité de gracier la prisonnière, dans la mesure où elle est sous le coup de deux autres accusations (voir encadré).Même s’il est de coutume pour de nombreux Etats européens de ne pas appliquer les arrêts de la CEDH, les autorités ukrainiennes ont répété à maintes reprises leur volonté de s’y conformer. Leur réaction vis-à-vis de celle qui reste la principale adversaire de Viktor Ianoukovitch est donc observée avec attention par les dirigeants de l’Union européenne.La ministre allemande de la justice, Sabine Loythoysser-Schnarrenberger, a ainsi souhaité voir la fin de "l’arbitraire et la violation des droits fondamentaux en Ukraine". C’est là une étape essentielle pour l’UE, avant de s’engager à signer un Accord d’Association ambitieux avec Kiev en novembre. La libération, le 7 avril, par grâce présidentielle, de l’ancien ministre "orange" Iouri Lutsenko a été accueillie comme un "signal positif" par Bruxelles. Mais pour l’eurodéputé Vert Werner Schultz, ce n’est pas suffisant; il est temps d’en finir avec la "vendetta politique" de Viktor Ianoukovitch.L’UE apparaît néanmoins divisée sur les implications géopolitiques de l’affaire Timochenko. Le Premier ministre estonien Andrus Ansip, soutenu par quelques diplomates européens, a ainsi récemment appelé à la signature systématique de l’Accord, en estimant que "nous (l’UE) ne pouvons pas nous permettre de perdre l’Ukraine à cause du sort d’une seule personne". Sans une pression politique commune des 27, il serait peu probable que l’arrêt de la CEDH soit traduit en actes.