RFI: Guerre des kiosques à Kiev

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 02/10/2013

Il est bien pratique de trouver un kiosque dans les villes d’Europe. On peut y acheter ses journaux, des fruits parfois, des barres chocolatées ou autres, en cas de petite fringale… Bref, un kiosque ça dépanne. Sauf que dans la capitale ukrainienne, les kiosques s’étalent un peu partout sur l’espace public, et deviennent encombrants. La municipalité a donc été obligée de prendre des mesures. Reportage.

kiosk

S'il y a une chose qui ne manque pas dans les rues de Kiev, c'est la possibilité d'acheter barres chocolatées, boissons, snacks, cigarettes et autres. Tous les 300 mètres ou presque se dressent soit un kiosque, soit un étalage, soit une roulette qui distribue des boissons chaudes. Au fur et à mesure des jours et des saisons, ils apparaissent et disparaissent, et la structure de la rue est en constante évolution. Ca se traduit souvent par un jeu de zig-zag, pour arriver à se frayer un chemin. Beaucoup d'habitants s'en plaignent… Comme Maria qui veut juste avoir de la place pour attendre son bus.

Maria: Il n'y a plus de place à l'arrêt de bus. Regardez, ces installations occupent tout l'espace, on ne peut plus circuler, tout est encombré. Regardez la taille de ce kiosque !

Et en plus, il y a une chance sur trois pour que ce kiosque soit une installation illégale. Selon les statistiques de septembre, on compte un peu plus de 9000 kiosques sur le territoire de la ville de Kiev. A peine 5700 sont officiellement déclarés. Vladyslav Shelokov est chargé de communication au département de l'environnement et de l'aménagement urbain à la municipalité. Et il explique que louer un emplacement pour y installer un kiosque coûte environ 1100 euros par mois. Alors que l'amende infligée pour possession d'un kiosque illégal ne se monte qu’à 100 euros environ.

Vladislav: Vous voyez, même si vous payez une telle amende de 100 euros, vous faites quand même un profit de 1000 euros ! Ce qui reste sans aucun doute une  très bonne affaire.

Sous la pression de l'opinion, la municipalité a dû entrer en guerre contre les kiosques illégaux. Les autorités ont concu une carte interactive sur le site officiel de la ville : on peut y voir, en vert, les kiosques officiels, et en rouge, les hors-la-loi. Elle sera bientôt accessible aux riverains qui seront encouragés à dénoncer ces derniers. Je m'approche d'un kiosque où l'on vend des sandwiches, marqué en rouge sur la carte. Le propriétaire est très sec et m'éconduit vite

Propriétaire: J'ai tous les documents. Tous. Si vous ne me croyez pas, allez à la mairie. Mais laissez-moi travailler.

Mais il n'est pas sûr qu'aller à la mairie change quoi que ce soit. La municipalité assure démonter de plus en plus de kiosques illégaux. Mais une fois enlevés, le propriétaire n'a qu'à payer une modique somme pour les frais de déplacement, plus l'amende, et il peut récupérer son bien. Et le replacer très vite dans la rue ! Vladyslav Shelokov confesse son sentiment d'impuissance.

Vladislav: C'est ubuesque ! A notre époque, ça ne devrait pas pouvoir exister ! Il y a un kiosque illégal en plein  centre de Kiev ,et  on n'a même pas le droit de le confisquer. Il faut le restituer à son propriétaire. Et on croit vraiment qu’il va le retirer de la circulation lui-même ? C’est n’importe quoi. En réalité, la plupart des kiosques réapparaissent aussi vite  dans les rues.

Les kiosques, en ukrainien, on les appelle Male Architectury Formy, ou simplement en utilisant les initiales « MAF ». Ironiquement, c'est aussi le début du mot MAFIA. Car, le système paraît très bien organisé, et soutenu, directement ou indirectement, par les plus hautes instances du pays. Vladyslav Shelokov explique que la municipalité avait envoyé une proposition au Parlement pour faire passer l'amende de quelques 100 euros à près de 10.000 euros. C'était en juillet 2011…  depuis, la proposition est restée lettre morte.

Architecte en révolte, Viktor Zotov  prône depuis des années l'assainissement de l'espace public en milieu urbain. Pour lui, les kiosques, qu'ils soient légaux ou illégaux, sont bien un révélateur du cynisme qui règne dans les villes ukrainiennes, 22 ans après la chute du système soviétique.

Viktor: Les kiosques ? Ce n'est pas une offre pour les habitants, c'est juste une affaire d'argent. Bien sûr qu’il y a de la corruption, et personne à la municipalité n’a un intérêt à améliorer la situation. Quant à la question esthétique, ce n'est pas très important. En revanche, on n'a plus  d'espace à  cause des kiosques :  on ne peut plus se déplacer librement sur les places.

A quelques centaines de mètres de son atelier, on trouve Maidan Nezalezhnosthi, la place principale de la ville, là où s'était tenue la révolution orange de 2004. Selon Viktor Zotov, c'est un exemple parfait : Entre un McDonalds, des restaurants, des hôtels, une banque, un centre commercial, des passages souterrains, le bruit incessant des voitures qui défilent sur les larges avenues à proximité, et, bien sûr, les kiosques ; on ne peut pas vraiment parler d'un espace public ouvert, accessible et confortable.

Les kiosques seraient donc le révélateur de problèmes plus profonds dans l'aménagement urbain, non seulement de Kiev, mais plus généralement des villes d'Ukraine. Selon une étude récente, les Kiéviens se plaignent aussi des problèmes de parking sauvage, de traitement des déchets et de l'état de la voirie. Bien plus qu'une guerre contre les kiosques, ce serait donc une véritable révolution qui serait demandée, afin de changer la manière de penser la ville.

Ecouter le reportage ici

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