RSE: Les Femen ne manqueront pas en Ukraine
Brève publiée sur le site de Regard sur l'Est, le 09/10/2013«Je ne pense pas que l'Ukraine ait perdu quoi que ce soit avec le soi-disant exil des Femen à Paris». Pour Lisa Babenko, critique d'art et activiste du groupe féministe «Offensive Féministe» à Kiev, l'absence de quatre chefs de file des Femen, parties en exil pour Paris à la fin août, ne semble pas une fatalité.
Plusieurs militants de l'organisation, dont la cofondatrice Anna Houtsol et l'énigmatique Victor Sviatski, avaient été agressés et battus à plusieurs reprises au cours de l'été. Et à la suite d'une perquisition douteuse dans leurs locaux de Kiev, la police avait confisqué un pistolet et une grenade. Pour les activistes, c'étaient là des «provocations» orchestrées par «les services secrets ukrainiens et russes». Malgré les assurances de la police qu'elles n'étaient «encore suspectées de rien», elles ont redouté l'ouverture d'une enquête pour possession illégale d'armes à feu, et des peines allant jusqu'à cinq ans de prison. Et annoncé leur départ définitif d'Ukraine, leur pays d'origine.Les Femen sont implantées dans de nombreux autres pays du monde et leur existence n'est pas remise en cause. «Elles sont juste particulièrement censurées en Ukraine, car ni le public, de tradition patriarcale, ni le gouvernement, ne sont prêts à réfléchir et réagir à leur message subversif», poursuit Lisa Babenko.Relativement épargnées depuis leur fondation en 2008, les Femen semblent désormais figurer sur la liste des victimes de la dérive populiste et autoritaire du régime du Président ukrainien Victor Ianoukovitch. Malgré sa détermination affichée à signer un Accord d'Association ambitieux avec l'Union Européenne en novembre à Vilnius, celui-ci s'est visiblement engagé à faire taire les critiques associatives, politiques et médiatiques dans son pays.Mais pour Lisa Babenko, leurs initiatives n'étaient pas de nature à changer la structure sociétale ukrainienne. «La prostitution du discours féministe que les Femen pratiquent est juste un autre genre de populisme. Cela n'a jamais aidé les femmes à contrer la violence des hommes (…) Les femmes sont souvent considérés comme des objets sexuels dans notre pays. Les Femen, seins nus, en sont la preuve. Mais celles-ci n'ont pas encore défini un discours constructif, elles n'ont pas encore proposé de débats ni articulé une réflexion autour d'un point de vue féministe. Elles ne cherchent même pas à diffuser des informations sur le féminisme». Son groupe, «Offensive Féministe», se veut un groupe de réflexion et de discussion, présent dans les milieux intellectuels et universitaires.«De toutes les manières, l'opinion publique ignore les Femen depuis longtemps», décrypte Andrii Bashtovyi, journaliste à Radio Liberté Ukraine. «Il y a eu trop de manifestations aux seins nus depuis des années, et certaines ont été jugées trop dérangeantes». On avait observé un revirement notable de l'opinion publique après que les Femen ont scié une croix en bois dominant Maidan Nezalezhnosti, en août 2012. En plus d'être un symbole chrétien, la croix était dédiée à la mémoire des victimes du stalinisme. C'est à cette occasion que la militante Inna Shevchenko avait reçu l'asile politique en France. Elle y a récemment servi de modèle à la nouvelle effigie de Marianne.«Leur départ en France est une stratégie tout à fait censée», analyse Nataliya Tchermalykh, enseignante-chercheuse à l'université de linguistique de Kiev, elle aussi activiste de «Offensive Féministe». «Elles évitaient depuis un certain temps la scène ukrainienne et visaient plus les médias occidentaux, sur des thèmes propres à créer 'le scandale'. Elles peuvent y récolter plus de dividendes de leurs actions». Dans la sphère médiatique ukrainienne, l'exil des Femen est passé presque inaperçu. Il semble que pour beaucoup, elles étaient parties depuis déjà bien longtemps.