Protester, avec casque ou casserole
"Sur le papier, l'Ukraine est désormais une dictature", déclare l'historien américain Timothy Snyder dans une tribune pour The New York Review of Books. Comme des centaines d'autres, l'historien américain critique avec amertume la série de mesures liberticides adoptées à la va-vite par le Parti des Régions, la majorité du Président Victor Ianoukovitch, le 16 janvier.Sur le papier, il est désormais interdit, entre autres, de participer à une manifestation publique avec casque ou uniforme, sous peine d'encourir jusqu'à 10 jours de prison. Quiconque installerait une tente, une estrade ou un système de hauts parleurs dans un espace public sans l'autorisation de la police peut conduire à une peine de 15 jours en cellule.Dès le 18 janvier, les premières failles de ces mesures ont été illustrées, avec humour et légéreté, par une poignée d'artistes, d'écrivains et de poètes. A midi, ceux-ci se sont donnés rendez-vous devant la prison municipale de Loukianivska, à Kyiv. Cette même prison où avait été enfermée Ioulia Timochenko dans les premières semaines de sa condamnation, et où se trouvent actuellement plusieurs personnes arrêtées depuis le début du mouvement de l'EuroMaidan. Pour la trentaine de participants, le mot d'ordre était la désobéissance, civile et ironique. Casques, masques, déguisements, casseroles, etc. Tout semblait permis pour tester les limites de la loi. Entre deux récitations de poèmes, les manifestants ont aussi construit une tente, qu'ils ont installé devant la porte de la prison. Dans un élan enthousiaste, ils ont toqué à la porte du gardien, et demandés à être arrêtés, pour infraction à la loi. Plusieurs policiers étaient postés aux abords de la manifestation. Aucun n'est intervenu pour faire appliquer la loi.
Qu'elles soient artistes, analystes politiques ou journalistes, de nombreuses voix se sont élevées ces derniers jours pour souligner l'absurdité des mesures adoptées le 16 janvier, dans le cas où elles seraient appliquées stricto sensu. Une mesure prohibe ainsi les colonnes de voiture de plus de cinq véhicules, sans en préciser les conditions pratiques d'application. Que décider en cas de cortège de mariage? Ou bien d'un simple embouteillage? Dans la capitale, certaines automobiles peuvent déjà être vues avec un signe: "Je suis la cinquième, ne me suivez pas!"Loin d'une application stricte, le gouvernement entend vraisemblablement utiliser ces mesures de manière ciblée, afin d'en finir avec les protestations de l'EuroMaidan. Jusqu'à quel point? Avec quels moyens? Avec combien de forces de l'ordre? "En pratique, l'Ukraine va-t-elle devenir une dictature?", se demande Timothy Snyder. Pour l'heure, les lois du 16 janvier, qu'une partie de la presse ukrainienne a d'ores et déjà rebaptisé "les lois de la dictature", posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.