RFI: L'EuroMaidan se radicalise

Reportage diffusé dans Accents d'Europe, le 24/01/2014C'est une mutation radicale, et irréversible. Après des semaines de résistance non-violente, une frange de l'EuroMaidan, ce mouvement de protestations antigouvernementales, est entré en conflit ouvert avec la police. Bilan au bout de 5 jours d'affrontements : plusieurs morts, des centaines de blessés, des dizaines de personnes arrêtées. Si tout avait commencé, à la fin novembre, dans une humeur joviale, bon enfant, l'heure est grave désormais, et la radicalisation gagne même les leaders politiques d'opposition. Les manifestants sentent qu'ils ont passé un point de non-retour. Kyiv, Hrushevskoho ul., 23/01/2014Venir à bout d’un régime autoritaire par des  rassemblements pacifique, des distribution de tasse de thé aux policiers et de concerts la nuit, ça semblait trop beau. Il n'est pas dit que les cocktails molotov et jets de pavés soient plus efficaces, mais de nombreux participants de l'EuroMaidan ont essayé l’autre méthode. Les échauffourées sont menées par quelques centaines de militants nationalistes du groupe « Pravyi Sektor », le secteur droit en ukrainien. Constitué comme un des organes de sécurité du campement de l'EuroMaidan, le groupe souhaitait visiblement en découdre avec la police, et il est devenu le fer de lance de ce durcissement du mouvement. Si les fondements extrémistes de Pravyi Sektor sont loin d'être représentatifs de l'EuroMaidan, la détermination des assaillants inspire. Roman est un jeune étudiant, qui parcourt le théâtre des opérations. Même avec son casque sur la tête et la main armé d’un baton, il n'a pas l'air très menaçant. Mais il se dit prêt. Roman: Nous sommes prêts pour le combat. Le plus important, c'est de rester ici jusqu'à la fin, de tenir notre position. Nous n'avons plus d'autre choix, nous ne pouvons plus rentrer à la maison. Vous savez, je n'ai aucune formation de combat, je n'ai pas été à l'armée, je suis encore à l'université. Mais je suis venu ici. C'est crucial ce qui se passe ici, je ferai ce que je pourrai. En filigrane, cette idée que tenir bon face à la police est désormais la seule solution pour changer les choses. En près de 10 semaines de mobilisation historique, le régime de Victor Ianoukovitch n'a pas fait l'ombre d'une concession. Au contraire, il a lancé la police plusieurs fois contre les manifestants, il a opéré une répression ciblée contre plusieurs de ses opposants, et il a fait passer, en force, une série de lois liberticides, le 16 janvier. Des textes qui restreignent fortement les libertés de la presse, d'assemblée et de manifestation. Les participants aux échauffourées encourent par exemple des peines allant jusqu'à 15 ans de prison. Un risque que Vitaliy est prêt à prendre, dans une certaine mesure. Lui se réchauffe auprès d'un braséro installé derrière la ligne de front. Il ne porte ni protection ni arme, mais il se tient là, en soutien. Vitaliy: Nous sommes tous ici, le peuple, unis. Nous sommes ici pour une idée. Aujourd'hui, nous ne protestons même plus contre Ianoukovitch. Bien sûr, tout le monde aimerait le voir partir. Mais les lois qui viennent d'entrer en vigueur, ça dépasse la personnalité du président, c'est l'instauration d'une dictature. Je ne peux pas m'asseoir dans ma cuisine, avec ma femme, à attendre, ce serait terrible, intenable. Ce n'est pas comme ça que je veux vivre, et ce n'est pas comme ça que je veux élever mes enfants. C'est pour cela que je suis ici, par conscience citoyenne. Mais s'il y a un assaut cela dit, je ne vais pas me battre, et je m'en irai. A quelques centaines de mètres de là, la place de l'indépendance, occupée par les manifestants depuis le 1er décembre, ressemble aujourd'hui à une forteresse. Si la police nettoie la rue où se déroulent les combats, la prochaine cible devrait être logiquement la place de l'indépendance. Iryna Zayetseva est une jeune artiste, qui a cherché, seule et avec d'autres, à critiquer la dérive autoritaire du régime à travers l'art et l'ironie. Elle avait par exemple commencé à porter des masques de carnaval lorsqu’une nouvelle loi a interdit le port de casques  lors des manifestations publiques. Cette fois, elle s'émerveille de l'ingéniosité des assaillants dans la construction de barricades et de catapultes, l'utilisation d'arcs, de flèches et de lance-pierres, comme dans un combat épique. Pour Iryna, les explosions de violence revêtent une dimension bien particulière. Iryna: Même si cette lutte est peut-être perdue d'avance, même si les actions violentes sont dangereuses pour l'avenir de toute cette révolution, je trouve que ces gars qui sont en train de se battre contre les policiers sont des héros. C'est peut-être irrationnel, ce qu'ils sont en train de faire, ce n'est pas stratégique, mais ils sont très fidèles à eux-mêmes, ils font ce qui vient de leur cœur. Moi je les comprends très bien. Et je sais que beaucoup de gens les comprennent aussi très bien, humainement. La violence, Kateryna Kruk aurait préféré que le mouvement d’Euro Mayden l’évite. Cette  icône du mouvement civique est très active sur les réseaux sociaux. Et Malheureusement elle n’est pas surprise par l’évolution de la protestation, sauf que désormais  l’avenir du mouvement en dépend. Kateryna: il y a un mois, nos protestations étaient parfaitement non-violentes. C'était le moment où tout le monde se préparait pour Noël, pour le nouvel an, et tout le monde était détendu et rien ne se passait. Mais déjà à ce moment-là, j'ai dit qu'il fallait s'attendre à des affrontements violents, peut-être pas dans un futur proche, mais j'en étais sûr. Pour être honnête, je n'ai pas été très surprise de voir Ianoukovitch et le parti des régions se comporter comme ils le font. Je pense que je serai moins choquée de voir le ciel me tomber sur la tête que si Ianoukovitch en venait à démissionner paisiblement, en écoutant la voix du peuple. J'ai été très déçue par contre par le comportement de l'opposition. L'opposition, ce sont ces trois leaders, le boxeur Vitali Klitschko, l'économiste Arseniy Iatseniouk et le nationaliste Oleh Tiahnybok. Ils ont été sévèrement critiqués pour 3 raisons : ces dernières semaines, ils n’ont rien obtenu du gouvernement, ils n’ont même pas réussi à désigner un candidat unique pour  la présidentielle, enfin ils n’ont pas pu proposer un plan d'action clair. Leurs tentatives répétées de négocier avec un régime qui aurait perdu sa légitimité a agacé beaucoup de monde, et cela explique en partie que les manifestants aient recouru à la violence. Après un dernier échec, les leaders de l'opposition semblent se radicaliser eux aussi. Il n'est pas sûr que leur implication change quoi que ce soit dans la lutte. Mais la radicalisation à la fois du mouvement et de l'opposition semblent annoncer des moments difficiles à Kiev dans les heures et les jours à venir. Ecouter le reportage ici

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Libération: Enlèvements, torture et provoc : la répression cachée en Ukraine

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