RFI: Une élection ukrainienne cruciale mais sans enjeux

Séquence "Appel à Correspondant" diffusé sur RFI, le 20/05/2014

En Ukraine, nous sommes à tout juste 6 jours du premier tour de l'élection présidentielle. Un scrutin très important après la révolution de l'Euromaidan et la chute de l'ancien régime autoritaire de Victor Ianoukovitch. Le gouvernement ukrainien et les occidentaux en attendent une légitimité renforcée pour faire face aux accusations d'illégitimité lancées par Vladimir Poutine. Mais sur place, la campagne est assez molle...

____

Tout d'abord, dans un contexte de violence continue dans l'est du pays, est-ce qu'on est sûr que l'élection va se tenir ? Et si oui, dans quelles conditions ?

Oui, sauf imprévu de dernière minute, comme une intervention militaire russe de grande ampleur, rien ne peut empêcher le premier tour de l'élection. La situation dans le pays est relativement stable au jour d'aujourd'hui, hormis évidemment l'annexion russe de la Crimée et les troubles dans deux régions orientales du pays. En tout, ces trois régions abritent environ 7 millions de personnes, soit environ 4 millions d'électeurs enregistrés, qui assez probablement ne pourront pas voter, ou en tout cas pas dans des conditions normales. Mais il restera plus de 30 millions d'électeurs enregistrés, dans les autres régions du pays, qui pourront prendre part au vote. Selon un récent sondage, plus de 70% d'entre eux compte voter. Il y aura 2000 observateurs internationaux qui seront déployés dans les bureaux de vote. On s'attend à moins de fraudes électorales que d'habitude, donc l'élection pourrait bien être légitime.

Mais de toutes les manières, il faut dire que cette élection n'a pas vraiment d'enjeu idéologique. Il y a 21 candidats, mais celui qui se démarque depuis des semaines, c'est Petro Porochenko, le roi du chocolat, qui pourrait même devenir président dès le premier tour.

Vraiment dès le premier tour ? Petro Porochenko est si populaire que ça ?

La popularité dans les circonstances actuelles, c'est relatif. En fait, Petro Porochenko bénéficie d'un effet de consensus post-révolutionnaire. Les groupes politiques qui ont soutenu la révolution, et bien ils se sont tous mis d'accord pour ne pas s'entretuer pendant la campagne. La principale rivale de Petro Porochenko, la sulfureuse Ioulia Timochenko, a elle-même déclaré qu'ils n'étaient pas adversaires !

Petro Porochenko, miliardaire, oligarque du chocolat, homme politique très prudent et très pragmatique, bénéficie aussi d'une réputation de bon manager, de chef d'entreprise efficace et moins corrompu que les autres. Et c'est ce qu'il dit dans sont programme : il veut réformer l'Ukraine, l'ouvrir au monde, et remettre l'économie sur pieds. Après des années de mauvaise gestion c'est un discours qui séduit une population ukrainienne qui veut aller de l'avant.

Mais tout de même, la révolution s'était battue contre l'oligarchie... n'est-ce pas un constat d'échec si un oligarque arrive au pouvoir ?

Oui et non. D'une part, aucun leader particulièrement charismatique n'a émergé pendant la révolution. Donc il faut bien choisir parmi ceux qui sont présents. D'autre part, en vertu d'une réforme constitutionnelle, le président de la république ne sera plus aussi puissant que ses prédécesseurs. Donc il y a moins de risques de dérive.

Mais tout de même, oui, indéniablement, c'est un certain constat d'échec. Hier encore, j'étais sur la place Maidan à Kiev, l'épicentre de la révolution, et les militants qui gardent le campement disent bien qu'ils se sont battus pour une alternative politique et des réformes de fond du système. Si cela ne se profile pas dans un futur proche, personne n'exclut que les manifestations reprendront de plus belle. Parce que cette fois-ci, au contraire de la révolution orange de 2004, les Ukrainiens ne veulent pas laisser passer leur chance de changement.

Previous
Previous

RFI: Petro Porochenko dès le premier tour?

Next
Next

Hennadiy Kernes: Kharkiv, Ukraine, Humanism & Dolphinarium