RFI: Quel avenir pour l'EuroMaidan?
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 28/05/2014Tout au long de la révolution ukrainienne cet hiver, le monde a suivi la vie du campement de l'Euromaïdan en retenant son souffle : ces dizaines de tentes montées ça et là, ces barricades, cette organisation hors du commun, ces hommes et femmes qui ont défié la police, ces scènes de tueries terribles. Les images ont fait le tour du monde. Mais il y a trois mois maintenant que le dictateur a été chassé. Un nouveau Président, Petro Porochenko, vient d'être élu, ainsi qu'un nouveau maire pour Kiev, l'ex-star de la boxe Vitali Klitschko. Que faire désormais de Maïdan et de ses militants ?L'estrade géante est toujours dressée. Les slogans sont toujours imprimés sur le village de tentes, couvert de drapeaux. Les barricades sont toujours imposantes, les trottoirs sont toujours défoncés, après avoir été éventrés pour en récupérer les pavés. Sur des tas de pneus empilés ici et là, on trouve encore des cocktails molotov, qui semblent prêts à être lancés. Sur Maidan Nezalejnosti, la place de l'indépendance à Kiev, il y a le Maidan. Il ne s'y passe strictement rien, depuis trois mois que plus de cent personnes ont péri ici, et que la révolution a été gagnée. Mais le Maidan reste là. Sur place, Un homme torse nu , brûlé par le soleil, s’occupe encore de la sécurité du campement de l'EuroMaidan. Il dit s’appeler Mykola le Cosaque, et avec ses camarades, il n'entend partir de si tôt. Mykola: Ca fait déjà longtemps qu'ils veulent que l'on parte d'ici. Mais le peuple ne partira pas, le peuple ne peut pas partir. C'est ce qui s'est passé ici. Les gens se sont rendus compte que s'ils veulent changer quelque chose, le Maidan doit rester. Quand la police a tenté de nous évacuer pendant l'hiver, les gens ont vu qu'ils avaient le pouvoir le changer les choses, au lieu de rester assis devant leur télévision. C'est notre principale victoire. Que le peuple a compris qu'il fallait rester sur place pour empêcher que nos dirigeants ne deviennent mauvais. Et pourtant, le peuple, on ne le voit plus beaucoup. Maïdan a désormais des allures de musée décrépi. Sous la façade noircie de la maison des syndicats, incendiée en février, et entre les chapelles de recueillement à la mémoire des victimes, s'entassent les vendeurs de souvenirs. Les badauds déambulent, en se faisant accoster par des personnes leur proposant de se faire prendre en photo avec des pigeons, ou des jeunes hommes en énorme costume d'ours en peluche. Ce qui reste de l’immense vague populaire, ce sont quelques centaines d'hommes et de femmes qui vivotent entre les tentes, visiblement désœuvrés. Plusieurs bâtiments publics restent occupés, mais la vie tourne au ralenti. Les mauvaises langues s'empressent de dire qu'il s'agit de personnes défavorisées, de la province, qui s'accrochent au Maidan où ils sont logés, nourris, et servent une bonne cause. Les groupes d'auto-défense sont officiellement désarmés, mais ils entendent toujours assurer la sécurité du camp et n'hésitent pas à contrôler des passants au hasard. Une atmosphère étrange donc, qui irrite de nombreux habitants. Valentyna Kalinowska est une artiste qui travaille dans un théâtre du centre-ville. Pour elle, il est grand temps de tourner la page. Valentyna: Après les élections, si tout reste calme et pacifique, il faut que Maidan soit démantelé, et que l'avenue Khreshatyk soit ouvert à nos transports et aux habitants. Vous comprenez, ça suffit, ça fait déjà 6 mois, et maintenant c'est l'été qui commence, la meilleure saison qui soit à Kiev, et il faut que la ville puisse respirer librement, et que l'on embellisse le centre-ville, et que tout revienne à la normale. Je pense qu'il faut qu'ils partent. La paralysie de la place principale d'une ville de plus de 3 millions d'habitants, cela pose des défis en termes de circulation et de réaménagement de l'espace urbain. La ville vient de se doter d'un nouveau maire, Vitali Klitschko, l’ancien champion de boxe, une des figures politiques de la révolution. Mais ni lui, ni le nouveau président Petro Porochenko, élu le même jour, n'ont fait le déplacement sur le Maidan, d'où ils tirent pourtant une partie de leur légitimité. Dès le lendemain de son élection, le dimanche 25 mai, , Vitali Klitschko a déclaré, lors d'une conférence de presse, que la situation allait changer rapidement. Klitschko: La raison d'être de principale de Maidan est déjà accomplie : aujourd'hui, nous nous sommes débarrassés du dictateur. Une des tâches qui nous attend est d'honorer et de ne pas oublier les événements qui se sont déroulés sur le Maidan. Je souhaite réunir du soutien pour une initiative pour construire un mémorial dédié à ceux qui ont donné leur vie dans la lutte pour le futur démocratique de notre pays. J'espère qu'un mémorial peut être construit très bientôt. Les barricades ont rempli leurs fonctions, et elles doivent être démantelées. Des propos qui pourraient présager de prochaines frictions entre le nouveau maire et les occupants du Maidan. Volodymyr Noha est membre du service de sécurité du campement. Il ne fait pas confiance aux nouveaux dirigeants, et il est prêt à faire ce qu'il faut pour tenir ses positions. Volodymyr: On restera ici jusqu'à ce que le pouvoir change. Jusqu'à ce que l'on voit des changements en Ukraine. Et ceux qui tenteront de nous évacuer sont avertis. Le peuple ne partira pas. Et puis de toutes les manières, comme le dit Volodymyr Noha, pourquoi évacuer le Maidan si on ne sait pas quoi mettre à la place ? A part un mémorial, que va devenir la place de l'indépendance ? Est-ce qu'on peut imaginer des concerts ici ? Est-ce qu'il faut restaurer la maison des syndicats incendiée ou la détruire ? Si on la détruit, que mettre à la place ? est-ce que l'avenue Khreshatyk peut redevenir l'autoroute urbaine qu'elle était auparavant ? Comment associer mémoire et fonctionnalité ? Curieusement, les esprits ne s'échauffent pas sur ces questions. La guerre qui se déroule dans l'est du pays paralyse les Kiéviens, qui attendent un retour à la stabilité. Mais si Maidan a agi comme un incubateur d'idées pour repenser l'Ukraine indépendante, il faudra bien, un jour, repenser Maidan.