La Tribune de Genève: L'Ukraine étranglée par la chute de sa monnaie

Article publié dans La Tribune de Genève, le 25/02/2015La hryvnia a perdu plus de trois fois sa valeur face à l'euro en un an. «C’est l’heure de l’austérité: essence, vêtements, loisirs… Ce n’est pas encore la catastrophe, mais il faut renoncer à beaucoup de choses. Cela me manque de ne plus aller à l’opéra…» Liliya Brudnitskaya se dit «optimiste». Mais pour la jeune femme, impossible d’ignorer la dramatique chute de la hryvnia, la monnaie nationale.Inexorable depuis la fin de la Révolution de la dignité, à la fin de février 2014, la dévaluation de la hryvnia ne s’est pas immédiatement traduite par un affolement marquant en Ukraine. «Le fait est que personne ne fait confiance au système bancaire ici. On se rappelle de la crise de 2008, quand il était devenu impossible de disposer de nos épargnes déposées en banque. Là, c’était vraiment la panique», raconte Taras Voytovych, entrepreneur à Lviv. Fervent adepte de voyages en Europe, il a vu la hryvnia perdre en un an plus de trois fois sa valeur face à l’euro, sans dramatiser pour autant. «Petit à petit, les épargnants ont donc retiré des espèces et les ont échangées contre de la «vraie» monnaie, des euros ou des dollars, qu’ils ont stockée sous le matelas.»Mais la chute vertigineuse de la monnaie, à partir du mardi 24 février, qui a conduit la banque centrale à interdire quasi tous les échanges de devises jusqu’à la fin de la semaine, semble être bien plus préoccupante. La peur, cette fois, n’est plus d’être appauvri par rapport à d’autres devises, mais bien de perdre du pouvoir d’achat en Ukraine même. Les prix des produits d’importation tels que l’essence, l’électroménager ou encore les médicaments connaissent des augmentations dramatiques. «Les produits pharmaceutiques sont frappés d’une taxe d’importation de 5 à 10%, ce qui en augmente encore plus le prix…» se désole Liliya Brudnitskaya. «Après cette dévaluation infernale, les prix vont sans doute augmenter. Je vais faire des réserves de céréales, de sucre, de sel, de pâtes et de beurre. Les magasins ont déjà des stocks limités de certaines denrées…» poursuit la jeune femme. «Ma tante est plus pessimiste. Elle parle déjà d’une nouvelle famine. Elle se rue dans les commerces pour acheter des pâtes et de la farine.»Dans l’immédiat, les files d’attente se sont rallongées devant des bureaux de change privés offrant des taux de change un tiers supérieurs à ceux des banques. A Kharkiv, seconde ville du pays, ni les uns ni les autres n’avaient néanmoins suffisamment de devises étrangères pour répondre aux demandes. «Même s’ils n’ont plus que des zlotys polonais, je veux vendre mes hryvnias!» s’exclamait Valentina, une habitante de Kharkiv dans une file d’attente.Et d’indiquer que des cambistes étaient déployés sur un marché avoisinant, offrant des liquidités aux plus offrants. «Le taux à ce bureau, c’est 1 euro pour 37 hryvnias. Une dame âgée là-bas m’a proposé 1 pour 42… Si j’accepte, j’y perds. Mais si c’est la seule manière d’avoir du liquide…» Sur Internet, un négoce parallèle de devises s’est organisé, les taux de change se négocient sur des forums de discussion, dans un esprit chargé d’un humour cynique. «Les Ukrainiens savent s’adapter, dit Liliya Brudnitskaya. Mais le choc est rude.» (TDG)

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