RFI: Stages d'autodéfense pour des Ukrainiennes
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 13/04/2015. Avec des superbes photos de Niels Ackermann, (à découvrir sur d'autres supports)Des milliers de morts, des dizaines de milliers de blessés graves, des centaines de milliers de personnes déplacées… Les chiffres bilan de la guerre du Donbass sont impressionnants, et leur impact psychologique encore plus. Depuis plus d’un an, c’est toute l’Ukraine qui vit dans un climat généralisé de guerre et dans la peur d’une propagation du conflit. Aussi les ventes d’armes à feu ont bondi dans le pays, et nombreux sont ceux et celles qui cherchent à apprendre le maniement des armes. Reportage à Tchernihiv, dans le nord du pays, pour y suivre un groupe de jeunes Ukrainiennes faire leurs premiers tirs de kalachnikoffs… En ce beau samedi matin de printemps, un groupe de cinq jeunes femmes s’habille chaudement pour passer la journée au grand air.Mais aujourd’hui, elles ne sont pas venues pour une promenade ou un pique-nique.Aujourd’hui, c’est pour l’AK-47 et le fusil à pompe qu’Iryna Mekchun et ses amies ont fait le déplacement.Iryna Mekchun: Ma sœur m’a parlé de cet entraînement, je voulais voir ce qu’il se passait ici, comment cela se passait. Et puis ce sont de nouvelles émotions, une nouvelle expérience. De l’adrénaline en fait! La formation est offerte par le groupe de consulting Omega, dirigée par Andriy Kebkalo et sa femme Tetyana. Ancien de l’armée ukrainienne, de la Légion étrangère et de plusieurs compagnies de sécurité anglo-saxonnes, Andriy Kebkalo a fondé Omega en 2013 d’abord à l’attention des détenteurs privés d’armes à feu. Aujourd’hui, sa clientèle a quelque peu changé.Andriy Kebkalo: Vu le contexte dans le pays, il y a pas mal de gens; il faut qu’ils sachent défendre leurs familles, leurs maisons. Il y a pas mal de gens qui sont dans l’armée maintenant. Ils ont été appelés, il n’y avait pas d’entraînement à l’époque car le temps pressait. Moi je prépare les gens à d’autres types de situations. C’est pour être prête à affronter ces situations différentes qu’est venue Elena Polovinkina, par ailleurs ingénieur sur le site de la centrale de Tchernobyl, toute proche.Elena Polovinkina: J’ai trois enfants. Je suis une volontaire qui aide l’armée ukrainienne. Ceux qui soutiennent la politique de Poutine nous traitent de fascistes et de tyrans. C’est pour cela que je veux apprendre à me défendre, à défendre mes enfants, à me servir d’armes. Voilà.L’entraînement du jour consiste à apprendre le maniement de plusieurs types d’armes. Pour les jeunes femmes, c’est une session gratuite, à titre promotionnel. Pour des tarifs entre 100 et 150 euros le cours, Andriy Kebkalo offre plusieurs mises en situation, axées sur les aspects psychologiques en zone de combat.Andriy Kebkalo: Tu peux bien tirer, si tu es un sportif. Mais atteindre des cibles, ça n’a rien à voir avec un tir de combat. Quand l’adrénaline monte jusqu’aux yeux, et que tu es dans une situation de stress, qu’il y a des accidents de tir, que ça ne marche pas, etc. Là c’est autre choseMalgré l’atmosphère souriante et bon enfant, les commentaires sur la guerre fusent et la peur d’une agression de la Russie, dont la frontière est toute proche, est palpable.Ekateryna Volnukhina est l’une des tireuses débutantes.Ekateryna Volnukhina: Je veux… être capable de défendre ma fille, et savoir me comporter avec une arme à la main. Pour elle, il est hors de question d’aller se battre. En fait, c’est la guerre qui est déjà venue à elle.Ekaterina Volnukhina: Non, je ne veux pas aller à la guerre. Déjà, dans l’est, en août… ils ont tué mon mari. C’est pour ça que je veux défendre ma fille…Toutes les jeunes femmes connaissent des soldats dans la zone de guerre et font du volontariat pour soutenir l’armée. Suivre cet entraînement est aussi une manière pour elles de montrer leur solidarité avec les troupes.Andriy Kebkalo: Et les filles tirent bien. C’est la première fois pour certaines, et il y en a quelques unes qui tirent très très bien. Il faut juste travailler un peu plus le mental et la condition physique, et tout ce qui est mémoire musculaire. Mais elles touchent déjà les cibles. C’est pas mal, c’est même impressionnant. A la fin de la journée, les participantes s’estiment toutes satisfaites. Aucune ne considère cette formation comme un jeu, mais elles sont toutes grisées par leurs premiers tirs. La jeune Iryna Mekchun, qui était là pour ressentir de nouvelles émotions, est elle très enthousiaste.Iryna Mekchun: C’est la première fois que je tire avec des armes à feu. J’avais déjà tiré avant dans des fêtes foraines, mais là, avec des vraies armes, c’est tout autre chose. - Et qu’en pensez-vous? Iryna Mechkun: C’est incroyable. Je veux réessayer encore. Et encore. Cela m’a beaucoup plus, c’est génial!Selon toute vraisemblance, ces jeunes femmes n’iront pas se battre dans le Donbass. Mais chacune, avec ses expériences et motivations propres, est bel et bien l’expression d’une société ukrainienne sous pression, d’un pays qui vit déjà dans un climat de guerre.Ecouter le reportage ici