RFI: La Crimée en situation de blocus alimentaire

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", le 26/09/2015Depuis le dimanche 20 septembre, il n’y a plus aucun camion de marchandises qui passe de l’Ukraine à la péninsule de Crimée, annexée par la Russie. C’est un véritable blocus alimentaire que les Tatars de Crimée ont organisé. Cela fait donc près d’une semaine que cela dure. Et apparemment, cela ne fait que commencer. Le poste ukrainien de Tchongar. Comment peut-on bloquer comme cela une péninsule de 2 millions d’habitants? D’un point de vue logistique, c’est très simple. Il n’y a que deux routes qui mènent de l’Ukraine continentale à la Crimée. Donc le dimanche 20 septembre, quelques centaines de personnes ont disposé leurs voitures et quelques blocs de béton en travers des routes. Ces militants, ce sont des Tatars de Crimée, mais aussi des membres de bataillons pro-ukrainiens, dont le très nationaliste Praviy Sektor. Très rapidement se sont formés des files de poids lourds. Sur l’une des routes, elle a traîné sur des dizaines de kilomètres. Et le tour est joué.Les chauffeurs de camions ont attendu quelques jours, et en milieu de semaine, ils sont pratiquement tous repartis dans l’autre direction. Dorénavant ne passent que les véhicules privés transportant des passagers. C’est-à-dire que la situation de la Crimée est aujourd’hui la même que celle du Donbass: là non plus, les camions de marchandise ne peuvent plus passer la ligne de front. C’est exactement ce que voulaient les Tatars de Crimée. Vous savez, Moustafa Djemilev, le leader spirituel de cette communauté, a déclaré le premier jour: “Il faut que l’Ukraine se décide: c’est soit on est en guerre contre la Russie, soit on fait du commerce”. Ca vous donne le ton de ce blocus…Et pourquoi mener cette action maintenant? Et bien pour attirer l’attention avant tout. Les Tatars de Crimée s’étaient majoritairement opposés à l’annexion de la Crimée, et ils dénoncent aujourd’hui des persécutions politiques et toutes sortes de pression sur la communauté. Mustafa Djemilev, et d’autres personnalités d’ailleurs, sont interdits d’entrée sur le territoire de la Crimée depuis l’été 2014. Si l’on regarde la situation géopolitique actuelle, on voit qu’il y a une tentative, côté ukrainien comme côté russe, d’appliquer les accords de Minsk qui pourraient mener à une paix durable dans le Donbass. Mais une condition siné qua none, c’est que les Occidentaux admettent que la Crimée ne revienne pas à l’Ukraine. C’est quelque chose que les Tatars de Crimée refusent net, d’où cette action.Il y a aussi une autre dimension à ce blocus: on voit que les gardes-frontières ou la police ne sont pas intervenus! Cela veut sans doute dire que le Président Petro Porochenko a donné son accord tacite à cette initiative. Il a récemment garanti la sécurité des protestataires. Ce qui voudrait dire qu’il s’en sert de la situation comme un moyen indirect de mettre la pression sur la péninsule, et la Russie.Et la réaction russe, justement, qu’en est-il? Pour l’instant, c’est assez faible, hormis des désapprobations politiques et une agitation médiatique sur la présence de militants de Praviy Sektor à la frontière. Mais le coup est dur. Vous savez que la péninsule n’est pas connectée à la Russie par voie de terre. Quasiment tous les approvisionnements passent par l’Ukraine. Et c’est d’autant plus critique que les ports de Crimée souffrent aussi du boycott commercial des Occidentaux. On peut imaginer l’inflation des prix qui va bientôt frapper la péninsule, si ce n’est pas des pénuries.D’autant que les Tatars de Crimée ne comptent pas s’en tenir là. Ils demandent à Petro Porochenko de stopper les approvisionnements d’électricité à la péninsule. Celle-ci en dépend, à 70%. Si cela se produit, Avec l’hiver qui approche, on peut imaginer les conséquences d’un tel blocus. Et les tensions politiques qui en découleraient.

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