TDG: «La crise ici n’est pas politique, elle est morale»
Article publié dans La Tribune de Genève, le 26/01/2016«Ce n’est pas une crise politique, c’est une profonde crise morale que traverse la République de Moldavie.» Oazu Nantoi est fatigué. Dans son bureau de politologue et militant civique, il se souvient d’avoir combattu pour la Moldavie indépendante, de la guerre de Transnistrie en 1992 aux protestations citoyennes anticommunistes de 2009. «Nous vivons aujourd’hui dans un Etat capturé par un oligarque, Vlad Plahotniuc, qui contrôle la majorité soi-disant proeuropéenne. Malgré leurs excès, ils sont soutenus par les Occidentaux. L’opposition n’est pas mieux… Aussi les gens ne leur font pas confiance, et ne sortent plus dans la rue pour manifester…»Le lendemain, le 25 janvier, Oazu Nantoi était pourtant sur la scène de la place principale de Chisinau, haranguant quelque 15 000 personnes réunies par des températures glaciales. «Aujourd’hui, il n’y a pas de prorusses, proeuropéens, proroumains… Aujourd’hui, nous sommes tous réunis pour nous débarrasser de cette mafia et mettre des gens bien au pouvoir, pour qu’ils prennent soin de la population!» s’exclamait Maria Onia.Bouquet à la mainLa cinquantaine, elle avait fait le déplacement depuis le nord du pays, pour exiger la démission du gouvernement, des élections anticipées et une réforme de la Constitution. Elle n’avait cependant aucune idée de ce que signifiait le bouquet de fleurs blanches qu’elle avait à la main. «Ils me l’ont donné ce matin», lance-t-elle, en faisant référence aux organisateurs qui avaient affrété de grands bus pour acheminer la majorité des protestataires.Ces «organisateurs» avaient certes réussi le tour de force de montrer un visage uni. Le Parti socialiste d’Igor Dodon et «Notre Parti» du populiste Renato Usatii, tous deux aux accents prorusses et nostalgiques de l’URSS, se sont alliés à la «Plateforme civique pour la Dignité et la Vérité» d’Andrei Nastase, en faveur de l’intégration européenne du pays, et divers mouvements de la société civile.Un front commun inédit contre un gouvernement honni, accusé de justice sélective ou encore de détournement d’un milliard de dollars d’argent public, siphonné du système bancaire entre 2012 et 2014. La personnalité de Vlad Plahotniuc, dont les ramifications d’affaires s’étendent à toute l’économie du pays le plus pauvre d’Europe, est le symbole vivant de cette «dérive d’un pouvoir qui se targue pourtant d’être proeuropéen…» se désole Dionis Cenusa, jeune militant civique.Démission exclueLui accorde peu de perspectives au mouvement de protestation. Le premier ministre Vlad Filip, investi dans le plus grand secret le 20 janvier, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne démissionnerait pas, et saurait répondre «comme il se doit à une radicalisation des manifestations», promise par les chefs de l’opposition à partir du 28 janvier, date de l’ultimatum lancé par l’opposition et réclamant la dissolution du parlement. «Vlad Filip, et à travers lui, Vlad Plahotniuc, sont soutenus par les Occidentaux, qui craignent comme le diable l’instabilité qui pourrait ramener des mouvements prorusses à revenir au pouvoir», dénonce Dionis Cenusa.«Le problème principal étant la faiblesse de la société civile. Les jeunes actifs sont désabusés, ne font pas confiance aux leaders de l’opposition, accusés eux aussi d’activités louches, et surtout, ils peuvent partir. Quarante pour-cent de la population détient un passeport roumain, alors si la crise persiste, la porte de sortie est toute trouvée…»