LLB: Les "fils de" ukrainiens, riches et incontrôlés

Article publié dans La Libre Belgique, le 26/01/2016Screen Shot 2016-01-27 at 13.54.02

A 22 ans, Stanislav Tolstocheiev avait tout du jeune Ukrainien aisé mais ordinaire. Il y a encore peu, il inondait ses profils de réseaux sociaux de photos de sa vie, ses séjours au ski et ses rencontres entre amis. C’est le 9 janvier, quand sa Jeep Mercedes a quitté la route pour s’encastrer dans une pharmacie de Kiev, tuant une passante et blessant trois autres personnes, que les Ukrainiens ont pu réaliser qu’il n’était pas un jeune homme comme les autres.

Fils d’un homme d’affaires appartenant au puissant "clan de Donetsk" d’avant-guerre, Stanislav Tolstocheiev a été rapidement disculpé par les docteurs, en raison de "problèmes cardiaques qui lui ont fait perdre conscience alors qu’il conduisait". Il est envoyé "en soins intensifs dans une clinique privée, sans aucune surveillance policière", raconte un journaliste d’investigation, Dmytro Gnap. Ce n’est que le 15 janvier qu’il est placé en détention provisoire. Le montant de la caution est fixé à 5 200 euros seulement, avant que les procureurs tentent de la monter à quelque 37 000 euros.Screen Shot 2016-01-27 at 13.53.37Mais cela ne semble pas apaiser l’opinion publique et l’embolie médiatique qui s’ensuit contre les "majory"(les supérieurs), issus de l’exubérante classe oligarchique, qui domine l’Ukraine depuis son indépendance en 1991. Les photos de Stanislav Tolstocheiev, jouant négligemment avec des billets de banque tout en fumant et buvant à excès, font le tour des réseaux sociaux, ridiculisant la thèse de problèmes cardiaques. D’autant qu’il n’en est pas à son premier accident. En 2013, il avait blessé une femme sur la route. Et s’en était sorti sans poursuites.

Des gosses de riches

Le phénomène des gosses de riches ukrainiens irrite d’autant plus qu’il renvoie à un passé que la société civile souhaite révolu, après la Révolution de la Dignité. En 2011, Roman Landik, le fils d’un député du Parti des régions du très corrompu Viktor Ianoukovitch, avait révélé l’impunité dont bénéficiaient les"majory". Le jeune homme avait violemment battu une jeune femme dans un restaurant de Louhansk, sous les yeux de nombreux clients, du personnel et des caméras de surveillance. Roman Landik avait ensuite pris tranquillement sa voiture et s’était réfugié en Russie. Il y avait été arrêté quelques semaines après, et, rendu aux Ukrainiens, condamné à une peine légère.Le cas d’Anastasia et Darina Iershov, rendu public en 2015, illustre aussi le sentiment d’impunité et de toute-puissance de cette jeunesse dorée. Les deux jeunes sœurs affichaient sans complexes leurs voitures de luxe, leurs vols en première classe ou leurs fêtes avec leur amie, la multimillionnaire Paris Hilton. Un train de vie qui correspondait peu aux revenus officiels de leur père, Oleksandr Iershov, chef de la (notoirement corrompue) police de la route.Une fois l’attention de journalistes et enquêteurs portés sur les réseaux sociaux d’Anastasia, elle crut bon de défendre ce qu’elle considérait comme "normal et inoffensif". L’énorme demeure familiale, en banlieue de Kiev, n’était pas répertoriée sur le registre municipal ? "C’est normal, ce sont de gentils amis de Papa qui l’ont construite et la lui ont donnée, il n’y a rien de mal là-dedans !", s’était-elle emportée. Son père, pris dans le scandale, avait dû démissionner.Ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour la société civile ukrainienne dans sa lutte contre la corruption endémique. Le journaliste Dmytro Gnap s’en félicite. "Si les oligarques restent prudents en dissimulant leur richesse, leurs enfants pourris gâtés peuvent se révéler des mines d’information sans limites…"

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