RFI: La chanson de Maïdan, des mariages aux enterrements
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, sur RFI, le 22/02/2016“Plive Katcha”, en ukrainien, ça veut dire le “Canard qui Nage”, c’est le titre d’une chanson folklorique très populaire en Ukraine, et qui est devenue, il y a deux ans, l’hymne funéraire du Maïdan après les violents affrontements dans le centre de Kiev. Sébastien Gobert a retrouvé, à Lviv, la voix de la chanson. Plive Katcha, on l’entend partout en Ukraine ces jours-ci. Le pays commémore avec recueillement la fin sanglante de la Révolution de la Dignité. Plive Katcha est une chanson de deuil. Mais quand Ihor Pavliuk l’a découvert et chanté, elle était très différente.Ihor Pavliuk: Je connais cette chanson depuis la fin des années 80. C’était une belle chanson, alors on l’a reprise. Nous avions un “Rock Band”. Après nos premières chansons, nous avons inclu un peu de musique folklorique. Le groupe d’Ihor Pavliuk, “Yasa” et ensuite Pikardiyska Tertsiya, ce sont des jeunes hommes de Lviv, emportés par le vent de la liberté du début des années 1990, après l’indépendance de l’Ukraine. Ils font de la musique une activité quotidienne, chantent pour des anniversaires et des mariages. Ihor Pavliuk explique que la culture traditionnelle ukrainienne est pleine de mélos dramatiques et d’histoires tragiques, de la même manière que les teintes nostalgiques du Fado, au Portugal.Ihor Pavliuk: Nous avons commencé à chanter “Plive Katcha" comme n’importe quelle autre chanson. Nous avions 20 morceaux dans notre répertoire, certains humoristiques, d’autres parlant d’amour… Nous chantions à plusieurs voix, 5, 6, nous avions un grand succès. Les jeunes amis chantent pendant quelques années, avant de fonder des familles, trouver des emplois plus stables, et passer à autre chose. Reste de cette folle époque à peine quelques enregistrements de leurs musiques. La version enregistrée de Plive Katcha, portée par la voix d’Ihor Pavliuk, se diffuse peu à peu dans le pays, et devient très populaire, mais sans connotations particulières. Jusqu’à ce moment de janvier 2014.Ihor Pavliuk: Un des premiers morts sur le Maïdan était un Biélorusse, Mikhail Jyznewsky, qui aimait beaucoup écouter cette chanson. Après son décès, ses amis ont cherché à lui rendre hommage. Ils ont joué Plive Katcha à son enterrement, et c’est à partir de là que la chanson a été associée au deuil. Pour Ihor Pavliuk, c’est une métamorphose de dramatique de ses beaux souvenirs de jeunesse. Alors la chanson, il ne veut plus en entendre parler.Ihor Pavliuk: Nous nous réunissons encore avec les autres chanteurs, en tant qu’ amis, juste pour chanter autour d’un verre. Mais Plive Katcha, nous ne l’avons plus chanté une seule fois. Je n’aurai jamais cru que ma voix pour être utilisée comme cela. Je suis quelqu’un de très optimiste, très joyeux. Alors je n’aime pas que ma voix soit associée… à la mort. La deuxième vie de la chanson Plive Katcha est bien étrange. A travers le récit d’Ihor Pavliuk, c’est aussi celle d’une Ukraine autrefois pacifique et paisible, aujourd’hui plongée dans l’horreur de la guerre et des morts presque quotidiennes. La folle jeunesse d’Ihor Pavliuk semble bien lointaine.Ecouter le reportage iciRegarder ici un enregistrement de Plive Katcha par le groupe d'Ihor Pavliuk; Pikardiyska Tertsiya.