RFI: Interdiction du Mejlis des Tatars de Crimée

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 20/04/2016Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, les minorités de la péninsule se plaignent de pressions politiques et policières par les autorités russes. Ce serait le peuple autochtone des Tatars de Crimée qui a été le plus visé. Ces pressions se transforment en persécution: le 18 avril, le ministère de la justice russe a interdit le Mejlis, le conseil représentatif de la communauté tatare. CdHFjtdXEAEnuubPourquoi interdire le Mejlis? Officiellement, c’est pour des “activités extrémistes”, dont la nature n’est pas vraiment précisée par les autorités russes, mais qui tiennent à de l’agitation, et à des tentatives de déstabilisation. Vladimir Poutine lui-même a régulièrement fait le lien entre les Tatars de Crimée et des intérêts étrangers tentant de provoquer des troubles en Russie.Pour les Tatars, c’est beaucoup plus simple: c’est parce que le Mejlis n’a jamais accepté l’annexion russe de la Crimée, et a toujours dénoncé le référendum de rattachement comme une fraude. Le Mejlis est donc un adversaire direct de l’Etat russe occupant. Mais aussi, cela entre dans une continuité historique de rapport conflictuel entre les pouvoirs russes et soviétiques et les Tatars de Crimée, un peuple de confession musulmane donc, qui représente 12% de la population de la péninsule, et en sont les habitants les plus anciens. Vous savez que Staline avait ordonné la déportation en masse des Tatars en 1944. Malgré un retour de plusieurs dizaines de milliers de Tatars dans les années 1990, ils n’ont jamais été complètement réintégrés en Crimée. Beaucoup d’entre eux dénoncent une persécution aggravée depuis l’annexion en 2014.Cette interdiction du Mejlis, cela veut dire quoi pour la communauté? Dans l’immédiat, cela empêche l’assemblée représentative des Tatars d’utiliser un média, d’organiser des réunions, de prendre part à des élections ou même de détenir des comptes en banque. Donc de facto, cette décision paralyse toute tentative des Tatars de Crimée d’avoir une représentation constructive.Pour l’ONG Amnesty International, cela fait aussi courir le risque d’une nouvelle vague de pressions judiciaires à l’encontre des Tatars. Tous ceux qui étaient associés au Mejlis peuvent désormais être accusés d’extrémisme.Refat Choubarov, le chef du Mejlis qui est lui interdit d’entrée sur le territoire de la Crimée depuis 2014, a assimilé l’interdiction du Mejlis à une étape de plus du régime de Vladimir Poutine vers celui d’Adolf Hitler. La comparaison entre Poutine et Hitler est très osée, mais elle est très en vogue en Ukraine depuis deux ans. Tout en soulignant que le président russe ne peut agir comme cela que parce que les Occidentaux veulent bien le laisser faire, à cause de leur politique de l’autruche.Les autorités ukrainiennes ont elles appelé à une réunion du conseil de sécurité de l’ONU. Mais il y a peu de chances que cela change quoique ce soit.Sur le terrain, quelle est la situation des Tatars de Crimée? C’est vraiment difficile d’avoir des renseignements fiables sur la teneur exacte de la persécution que les Tatars dénoncent. Depuis 2014, on estime qu’il y en aurait environ 10 000 qui sont partis à cause des conséquences de l’annexion, ce qui veut dire qu’il en reste au moins plus de 220 000. Tous ne sont pas en prison, et le pouvoir russe n’a jamais évoqué une quelconque déportation de masse. Mais on entend régulièrement parler de cas de procès politisés, d’expropriation de terres, de discriminations ethniques et religieuses.Il est très difficile de se faire une idée précise de ce qui se passe sur le terrain, en Crimée, mais ce qui est sûr, c’est que sans leur assemblée représentative du Mejlis, la situation des Tatars de Crimée ne peut pas s’améliorer de si tôt.

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