RFI: Violences sexuelles et harcèlement: en Ukraine et en Russie, la parole se libère sur Internet
Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 12/07/2016Mouvement inédit sur les réseaux sociaux ukrainiens et russes depuis plus d’une semaine. Des centaines d’utilisateurs parlent de leurs souvenirs de viols et harcèlements sexuels qu’ils ou elles ont subi. Dans des sociétés patriarcales, très conservatrices sur des sujets liés au sexe et où le silence est la règle pour la plupart des victimes, c’est une onde de choc. Comment ce mouvement a commencé? Et bien par un post sur Facebook. Le 5 juillet, une Ukrainienne Anastasia Melnychenko s’insurge en ligne contre la réaction d’un homme ayant trouvé une femme évanouie dans un parc, laissée pour morte après avoir été violée. “Elle n’aurait pas du trainer là en pleine nuit”, écrivait-il. Ce genre de propos, assez commun en Ukraine, c’est visiblement de trop pour Anastasia Melnychenko. Elle écrit sur facebook: “Je veux que, nous, les femmes, parlions aujourd’hui”, en décrivant plusieurs histoires de harcèlements et violences sexuelles, qui ont commencé pour elle à l’âge de 6 ans.“Nous n’avons pas à fournir d’excuses, nous les femmes”, poursuit-elle. “On ne peut rien nous reprocher. Ceux qui nous violentent sont TOUJOURS les coupables”.Son message est partagé plus de 300 fois sur Facebook, reçoit des centaines de commentaires, et encourage des dizaines d’utilisateurs, femmes et hommes, en Ukraine et très vite en Russie, à livrer leurs histoires, accompagné du hashtag #Jenaipaspeurdeparler, #яНеБоюсьСказати en ukrainien.Etaient-ce des histoires dont les victimes avaient déjà parlé? Pour la plupart d’entre elles, non. Certaines femmes n’en avaient parlé qu’à leurs proches, mais jamais en public. La majorité des hommes qui se confient en ligne n’avaient, eux, jamais parlé de leurs agressions à personne. Les victimes ici obéissent à une véritable loi du silence. Pour commenter sur ce phénomène, des sociologues et psychologues rappellent le contexte socio-culturel, en Ukraine comme en Russie. C’est-à-dire des sociétés patriarcales et conservatrices. Les violences sexuelles sont considérées, pour le dire simplement, comme partie prenante de la vie, et a fortiori de la vie de couple.Les femmes sont évidemment plus vulnérables dans ces situations, pour des raisons qui remontent à leur tendre enfance. Une psychologue me faisait récemment remarquer qu’elles grandissent traditionnellement avec l’idée de devenir des femmes belles et bien vêtues, mais aussi silencieuses et respectueuses de l’homme et du mari, prêtes à satisfaire tous leurs besoins. Le silence en cas d’agression sexuelle est la règle. Et par ailleurs, les victimes sont très peu prises en charge, et obtiennent rarement justice.Ce mouvement sur les réseaux sociaux peut-il changer quelque chose? Dans le sens où cela a permis à de nombreuses personnes de s’exprimer, c’est déjà un changement. Ensuite, comment cela va-t-il se traduire dans la vie de tous les jours, et dans les approches de la société sur ces questions, c’est autre chose. Les réseaux sociaux ne sont pas unanimes sur ce mouvement Jenaipaspeurdeparler. Certains hommes y apportent leur soutien, voire demandent pardon pour leurs comportements. Mais il en a aussi beaucoup qui s’indignent de telles confessions en public, et persistent à rejeter la faute sur des femmes “trop aguicheuses”.En Ukraine, le mouvement #Jenaipaspeurdeparler s’inscrit dans un contexte d’ouverture toute relative sur les questions de sexualité et de genres. Mais les victimes de violences sexuelles sont encore loin d’être entendues et d’obtenir justice.Ecouter la séquence ici