RFI: Un Président idéal - sur les écrans ukrainiens
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, sur RFI, le 21/10/2016Qui n’a jamais espérer avoir un président simple, terre-à-terre, qui se soucie des préoccupations du peuple et qui veut vraiment réformer son pays? Ce qui est sûr, c’est que les Ukrainiens en rêvent, et qu’ils peuvent l’imaginer sur leurs écrans de télé. La série “Slouga Naroda - le Serviteur du Peuple” met en scène un professeur d’histoire, à Kiev, qui devient président du jour au lendemain. La série connaît un succès fou, même à l’étranger: l’équipe ukrainienne vient de vendre les droits de diffusion à l’américain Netflix, et des droits d’adaptation à la chaîne américaine Fox News…
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[audio src="https://nouvellesest.files.wordpress.com/2016/10/reportage-sluga-naroda.wav"][/audio]Vassili Petrovitch est professeur d’histoire à Kiev. Il habite encore chez ses parents. Ce matin, il se dispute gentiment avec eux, avant d’aller trouver un peu de calme dans les toilettes. Quand il en sort, c’est pour trouver le premier ministre dans le couloir.Extrait: Dobroe Utra, Gaspadin President - Bonjour, Monsieur le Président. Vassili Petrovitch a remporté l’élection présidentielle ukrainienne, presque par hasard. Voilà une des scènes un peu loufoques que l’on trouve dans la série le Serviteur du Peuple et qui ravit les Ukrainiens.Selon le scénario, les élèves de Vassili Petrovitch l’avaient inscrit pour blaguer. Il n’a pas fait campagne, mais il a été élu avec 60 % des voix.Sa victoire, il la doit à un lycéen qui avait posté sur youtube une vidéo de son professeur en train de jurer contre la classe politique corrompue.Voilà cet homme du peuple projeté sur les devants de la scène, dans les arcanes de la politique ukrainienne. Il doit apprendre la fonction sur le tas.Extrait: Dobroa Utra. Kak Dila Strana? - Bonjour, comment se porte le pays? Xorosho, Gaspadin President - Très bien, Monsieur le Président. Avec son franc-parler et sa simplicité, Vassili Petrovitch se confronte aux oligarques, à la corruption, aux querelles politiciennes, au cauchemar de l’administration, aux problèmes des infrastructures… En fait, à tous les cas de figure qui compliquent la vie des Ukrainiens au quotidien.Volodymyr Zelensky: Pour moi, c’est la vie en comédie. C’est un genre en soi. Volodymyr Zelensky est le créateur artistique de la société de production “Kvartal 95”, qui est à l’origine de la série. Il est aussi l’acteur qui incarne le Président Vassili Petrovitch. Il s’exprime sur une vidéo du making-off de la série.Volodymyr Zelensky: C’est-à-dire que ce que l’on voit à l’écran, c’est très drôle, mais ce n’est pas que de l’humour. Ce n’est pas que de la comédie. Pour ceux qui ne vivent pas en Ukraine en ce moment, c’est très drôle. Ils regardent ça, et ils se disent “Aha, ils sont fous ces Ukrainiens!” Mais chez nous, certaines personnes pleurent en regardant la série.Il y aurait effectivement de quoi pleurer. La série “Le serviteur du Peuple” décrit un milieu politique corrompu jusqu’à l’os. Les députés qui ne cherchent qu’à financer leurs villas à Monaco. Le premier ministre chapeaute le système de corruption, en jouant sur les chiffres pour détourner les fonds publics. Il obéit directement à trois oligarques, des personnages inquiétants, vivant dans un luxe inouï, que l’on aperçoit régulièrement en train de comploter pour faire échouer les réformes.Et à leur grande surprise, Vassili Petrovitch leur donne du fil à retordre. Dans l’un des premiers épisodes, il encourage ses collaborateurs proches à accepter des bakchichs importants versés par ces oligarques. Il filme les scènes de corruption. Et devant un parterre de journalistes, il annonce qu’il a réussi à berner les oligarques, et qu’il a reçu 50 millions de dollars à ajouter au budget national.Mykola Gorokhov est un analyste de la sphère médiatique, à KievMykola Gorokhov: Le héros principal incarne des valeurs que les Ukrainiens ne voient pas suffisamment dans la politique nationale. C’est-à-dire un homme de conviction, qui arrive au pouvoir pour vraiment changer le pays, et non pour y faciliter ses propres intérêts financiers . Donc il n’est pas très surprenant que les Ukrainiens se fascinent pour la politique dans cette série, car ils sont désabusés de la politique dans la vie réelle. Slouga Naroda, et les productions du “Kvartal 95” en général, sont très populaires en Ukraine. L’humour est potache, les scénarios assez simples, et le tout est très divertissant, en particulier dans le contexte d’une Ukraine post-révolutionnaire, où les réformes tant attendues ne se concrétisent pas.Oleksandr Nogachevski est un entrepreneur , et lui aussi souffre d’un système gangrené par la corruption.Oleksandr Nogachevski: Les Ukrainiens discutent tout le temps, dans leurs cuisines, avec leurs proches, de ces problèmes qui plombent l’Ukraine depuis son indépendance. La corruption, les mensonges, le cynisme du pouvoir en place. Le Président actuel Petro Porochenko n’est pas une exception. Il entretient un vaste système de corruption, comme tous les autres présidents avant lui. Et dans la série, le héros principal parle de ces problèmes dans les mêmes termes que dans une conversation de cuisine! Donc ça plaît aux gens.Slouga Naroda plaît en Ukraine, et à l’étranger. La série est diffusée en Estonie, en Moldavie et au Kazakhstan; des républiques post-soviétiques qui connaissent des problèmes similaires à l’Ukraine. Un succès couronnée au-delà de l’Atlantique , avec la vente de droits de diffusion au distributeur en ligne américain Netflix, et des droits d’adaptation à la chaîne américaine Fox News.Dans un entretien vidéo de “Kvartal 95”, le réalisateur Aleksey Kyrioushenko admet que la série américaine sera sans doute bien différente de la version ukrainiennePrésentateur:
- Qu’est-ce qui va changer dans la version américaine? Le budget, par exemple?
Aleksey Kyrioushenko:
- Ah oui, ce sera sans doute le changement principal! Non, plus sérieusement, il y aura beaucoup de changements, notamment au niveau de la langue et du vocabulaire utilisé, mais aussi des cas concrets développés dans la série… Il va falloir que cela colle à leur réalité.
La version américaine, ne manquera sûrement pas de sel , quand on sait que Fox News a une ligne éditoriale très conservatrice, proche de Donald Trump. Toute ressemblance avec des personnages réels est hors de propos…Dans cet entretien, en tout cas, Volodymyr Zelensky ne se pose pas ce genre de questions. L’Ukrainien préfère savourer son succès.Volodymyr Zelensky: Mais alors, la question principale: quel acteur va incarner mon rôle, celui du Président? Brad Pitt? Johnny Depp? Ou Leonardo di Caprio? Volodymyr Zelensky et son personnage terminent la première saison sur un succès total. Sur les écrans, Vassili Petrovitch s’est bien installé dans sa fonction, il a lancé quelques grands changements en politique. Il a une nouvelle petite amie, évidemment charmante. Et il fait arrêter le premier ministre corrompu lors d’une émission politique télévisée.Volodymyr Zelensky: Pour nous, cette série est très subtile, et divertissante. C’est à la fois drôle, et sérieux en même temps. Et nous nous efforçons de montrer que le sort des habitants de ce pays ne dépend pas que des dirigeants, là haut, au sommet; mais bien de chacun d’entre nous. On se revoit bientôt, pour la deuxième saison, sur tous les écrans de notre pays! Premier épisode de la seconde saison, le 24 décembre, un peu avant le Noël orthodoxe. Un divertissement pendant les fêtes, mais aussi, encore, une piqure de rappel. Les réformes se font attendre, la corruption est endémique, les effets de la crise économique se font encore gravement sentir. En cette fin 2016, la politique ukrainienne n’a pas encore trouvé son Vassili Petrovitch.Ecouter l'émission ici