Nouvelle explosion de violences dans le Donbass

Version longue d'un article publié dans La Tribune de Genève, le 31/01/201716265224_1413665655310511_9020041083584927401_n“Des milliers de personnes se retrouvent sans eau, sans électricité, et sans chauffage, par des températures frôlant les -20°”. Konstantyn Reutski est un volontaire de l’association pro-ukrainienne “Vostok-SOS”, dans la ville industrielle d’Avdiivka, au nord de Donetsk, capitale des séparatistes pro-russes. Il se retrouve au coeur d’une explosion de violences inédite dans la guerre d’attrition du Donbass.La ville, sous contrôle ukrainien, subit de lourdes attaques depuis le 29 janvier au petit matin. Des bombardements intensifs, accompagnés d’incursions terrestres de troupes séparatistes, ont touché les conduites de gaz et les lignes électriques. L’usine de coke d’Avdiivka, l’une des plus grandes d’Europe, s’est retrouvée paralysée par manque d’approvisionnements électriques pendant plusieurs heures, laissant une ville de quelques 16.000 habitants sans chauffage. Les températures dans la région frôlent les -20°.Un plan d’évacuation a été mis sur pied en urgence, mobilisant 80 bus et 2 trains. Le Président Petro Porochenko a écourté une visite d’Etat en Allemagne, afin de parer au “risque de désastre humanitaire”, selon son porte-parole. L’évacuation d’Avdiivka est néanmoins retardée jusqu’au dernier moment. Le gouverneur ukrainien de la région, Pavlo Jebrivskiy espère qu’une trêve peut permettre de réparer les infrastructures énergétiques de la ville.La trêve, néanmoins, ne semble pas se profiler. Sur plusieurs points de la ligne de front, du port de Marioupol aux banlieues de Donetsk, les violences ont atteint un niveau non-égalée depuis les dernières flambées de violence de l’hiver 2015. Depuis le 29 janvier, au moins 8 soldats ukrainiens ont trouvé la mort, 26 ont été blessés. Les pertes côté pro-russe et russe ne sont pas connues. Les tirs d’artillerie, jusqu’ici cantonnés à la nuit, afin de ne pas attirer l’attention des observateurs, se multiplient en journée. Le chef d’observation de la mission de l’OSCE, Alexander Hug, dénote un “sentiment d’impunité” des belligérants dans l’utilisation d’armes lourdes.Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes ont usé d’une stratégie “de rampant”, selon la formule consacrée. Plusieurs unités ont pris le contrôle, sans coup férir, de localités situées dans la zone tampon, telle que définie par les Accords de Paix de Minsk de février 2015. Ce faisant, les forces de Kiev ont réduit la distance entre les positions ennemies, et augmenté les risques d’affrontement. A titre de justification, les soldats assurent vouloir mettre fin aux réseaux de contrebande qui caractérisent cette “zone grise”, et sécuriser leurs positions. A Kiev, on explique aussi la manoeuvre par la nécessité de reprendre l’initiative, dans le cas où l’administration de Donald Trump malmènerait l’Ukraine au profit de sa relation avec Vladimir Poutine.L’explosion de violences des derniers jours est, elle, à l’initiative des forces pro-russes et russes. Les attaques terrestres au sud d’Avdiivka, le long de la route E50, indiquent une volonté d’encercler la ville, et de faire bouger la ligne de front au profit de la République populaire auto-proclamée de Donetsk. Ces attaques ont, pour l’heure, été repoussées par les troupes ukrainiennes. Mais le risque de futures attaques persiste. Un récent rapport d’une mission conjointe d’observateurs ukrainiens, danois et canadiens, a fait état d’une large concentration de troupes et de matériel militaire en Russie, le long de la frontière ukrainienne. Malgré des preuves indiscutables, Moscou nie depuis 2014 son implication dans le conflit.Les objectifs de ces offensives restent incertains. Pour certains, il s’agirait de créer une tension diplomatique en amont d’une future rencontre “Format Normandie”, entre les dirigeants français, allemand, russe et ukrainien. Pour d’autres, il s’agirait d’une réaction à l’adoption récente, à Kiev, d’un “plan de réintégration du Donbass”. Cette loi offre des facilités aux Ukrainiens des territoires séparatistes, par exemple en termes de circulation, ou d’accès aux universités nationales. L’initiative est très critiquée en Ukraine même. Elle se heurte aux appels à un blocus systématique des républiques auto-proclamées. Un blocus ad-hoc a d’ailleurs été mis en place par des combattants volontaires, au nord de Louhansk. Vu des capitales séparatistes, cette loi peut aussi être considérée comme une menace pour la légitimité des autorités auto-proclamées. Relancer des offensives permettrait ainsi de s’assurer que ce “plan de réintégration” ne peut être appliqué.Pour la députée Victoria Voytsitska du parti Samopomitch, le scénario serait bien plus catastrophique. Ce serait le début d’une nouvelle grande bataille, à l’image de celle de Debaltseve, qui s’était soldée par une défaite cuisante de l’Ukraine, en février 2015. “Les Russes veulent nous contraindre à accepter leur scénario de paix, avec statut spécial, élections des séparatistes au Parlement à Kiev…” Ces dispositions, prévues par les Accords de Minsk, sont perçues et présentées de manière très différentes par Kiev et Moscou. En raison de divergences de fond, les négociations de paix sont gelées depuis des mois. Un changement de situation sur le terrain pourrait rebattre les cartes des négociations.“Je ne crois pas que ce soit un Debaltseve-2”, estime la journaliste Anastasia Magazova, à Avdiivka. “Les Ukrainiens ripostent fermement, donc les autres ne passeront pas”. Elle se concentre pour l’heure sur le sort des civils, encore une fois les principales victimes de cette dégradation de la situation. Les autorités régionales, ainsi que des ONG comme la Croix Rouge Internationale dépêchent des convois de nourriture et d’aide de première nécessité, telles que des couvertures ou des radiateurs d’appoint.Le volontaire Konstantyn Reutski constate lui aussi cette situation humanitaire précaire. Celui-ci relève malgré tout, dans une anecdote sur son mur Facebook, la faculté d’adaption des habitants du Donbass, qui a désarmé plus d’un observateur dans cette guerre. En passant devant un arrêt de bus, devant la cokerie d’Avdiivka, il raconte avoir entendu une femme au téléphone. Celle-ci explique, sur un ton ordinaire, que “tout va bien. Normal. C’est juste que nous n’avons pas d’électricité et qu’ils nous tirent dessus”.

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