RFI: Nouvelle controverse linguistique en Ukraine

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 09/02/2017 Alors que l’Ukraine est encore et toujours déchirée par une guerre meurtrière dans le Donbass, entre les forces gouvernementales et des séparatistes pro-russes soutenus par la Russie, le parlement à Kiev étudie trois projets de loi qui visent à renforcer le rôle de la langue nationale, l’ukrainien, aux dépens du russe.the-cyrillic-alphabet-is-common-to-the-russian-and-ukrainian-languagesSébastien, que prévoient ces projets de loi? A divers degrés, tous ces projets ont pour objectif l’ukrainisation de la vie publique. L’ukrainien est la langue d’Etat depuis l’indépendance en 1991, mais ces lois vont au-delà des seuls domaines politiques, institutionnels et administratifs. L’immense majorité des médias : télévision, radio, presse, cinéma et autre, seraient contraints de produire quasiment exclusivement en ukrainien. Une personne s’exprimant dans une autre langue, en l’occurrence le russe, devrait systématiquement être doublée ou sous-titrée en ukrainien. Ce qui n’a jamais été nécessaire, car la majorité des Ukrainiens sont bilingues.Et en cas d’infraction, il y aurait des sanctions! Un des projets de loi prévoit l’instauration d’une patrouille de la langue, qui aurait le pouvoir de délivrer des amendes. Des peines de prison seraient même prévues pour les récidivistes. Ces projets sont très radicaux, et il y a peu de chance qu’ils soient adoptés en l’état par les parlementaires. Mais le simple fait que le Parlement les étudie fait déjà couler beaucoup d’encre.Cela voudrait-il dire que parler russe deviendrait illégal? Evidemment, la propagande russe s’est déjà saisie de l’affaire, en affirmant que oui, l’ukrainien deviendrait la langue exclusive en Ukraine. En vérité ce n’est pas ça. Le russe, et les autres langues régionales resteront des langues minoritaires, on pourra continuer à les utiliser. Mais elles seront supplantées par l’ukrainien, dans la vie publique de ce grand pays bilingue.Imaginez-vous un soldat ukrainien russophone mobilisé sur le front de l’est, et il y en a beaucoup. S’il donne une interview à la télévision en russe, où il explique pourquoi il a choisi de défendre son pays, il serait traduit par un doubleur professionnel en ukrainien? Ce serait un peu… humiliant, et injustifié. Au-delà de la propagande venue de Russie, le ressenti des millions de russophones du pays pourrait être désastreux.Mais pourquoi de tels projets de loi maintenant? Les auteurs des projets de loi estiment qu’il n’y a pas de bon moment pour renforcer la langue nationale, guerre ou pas. Ils se réfèrent aux législations européennes sur les langues d’Etat pour justifier leurs démarches. Mais on dirait qu’ils ne prennent pas en compte certaines réalités ukrainiennes. Par exemple, l’industrie du cinéma, si elle doit produire seulement en ukrainien, se trouvera très défavorisée en termes de soutien financier, et d’accès à des marchés de distribution, par rapport au cinéma russe. Or, on sait bien que le cinéma est un outil formidable pour promouvoir l’image d’un pays à l’étranger.Pour le poète Serhiy Zhadan, les parlementaires essaient en fait plus de lutter contre le russe que de promouvoir l’ukrainien. Pour lui, cette démarche n’est pas constructive, et c’est une nouvelle diversion des responsables politiques pour cacher leur impuissance à régler la crise économique et sociale. La situation est très difficile pour les Ukrainiens, et ça, quelle que soit la langue qu'ils parlent.Ecouter la séquence ici

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