RFI: Le gouvernement ukrainien est-il en guerre contre les ONG anti-corruption?

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 06/04/2017Nouveau vent de protestation en Ukraine. Le Président Petro Porochenko a fait adopter une loi obligeant les associations et militants luttant contre la corruption à déclarer leurs revenus et patrimoine. En soi, rien de choquant. Mais dans le contexte ukrainien très corrompu et politisé, le risque de pressions politiques est pris au sérieux. Depuis Kiev pour en parler, Sébastien Gobert20170329_adrian_largeDe quoi s’agit-il? Vous vous rappelez qu’à l’automne dernier, les dirigeants ukrainiens ont fait sensation en déclarant en ligne leurs richesses et patrimoine. Ils avaient révélé détenir des dizaines de millions de dollars en liquide, des montres, des appartements et des voitures de luxe. La création de ce système de déclaration en ligne avait été poussée par la société civile et les militants anti-corruption. Et bien le Président Petro Porochenko a pris sa revanche, si l’on peut dire. Par des amendements apportés à la loi, il oblige maintenant ces mêmes militants à déclarer leurs revenus et patrimoines, leur épargne et leurs possessions précieuses, ainsi que celles de leurs familles.En soi, cela peut se comprendre. Il n’y a rien de mal à révéler les détails des financements de certaines organisations, qui sont de fait très influentes dans le débat public. Mais ces amendements font peur. D’abord parce que c’est perçu comme une revanche du Président, comme je l’ai dit. Aussi parce que cela ne vise que les militants de la lutte anti-corruption, donc des représentants très précis de la société civile. Celle-ci-dénonce un acte de guerre. Plusieurs chancelleries occidentales et des organisations internationales regrettent un retour en arrière. Tous redoutent la possibilité de pressions politiques.Pourquoi cela? quels sont les risques de ces amendements? En premier lieu, ils concernent tous les acteurs de la lutte anti-corruption: les militants et les experts, mais aussi les journalistes. Et encore: les donateurs, les assistants, les secrétaires, les imprimeurs… Les exigences de déclarations sont bien plus strictes que les systèmes existant dans les pays occidentaux. Cela peut permettre au Procureur Général, qui est fidèle au Président Porochenko, de lancer des poursuites ciblées contre certains militants anti-corruption. Certaines critiques assimilent aussi ces amendements aux lois russes sur les “agents étrangers”, c’est-à-dire des lois très restrictives de contrôle d’associations et ONG, qui ont de facto tué la société civile en Russie.Et puis surtout, il y a la peur de deux poids, deux mesures. En septembre 2016, 100.000 déclarations d’élus et de fonctionnaires, ce que je rappelais à l‘instant, avaient été mises en ligne. Au jour d’aujourd’hui, seulement 11 ont été contrôlées par les organes anti-corruption. Parmi ces 11 déclarations, celles du député Serhiy Leschenko et de Ioulia Marouchevska, deux personnalités réformatrices, ont été suivies d’enquêtes. Le premier n’avait pas déclaré 333 dollars d'honoraire pour un discours à une conférence. La deuxième s’était octroyée un bonus de 19 dollars sur son salaire. A l'inverse, les déclarations faisant état de millions de dollars en liquide ou d’impressionnantes collections de voitures n’ont pas encore été contrôlées. Dans le même temps, le SBU, les services secrets ukrainiens, ont eux annoncé unilatéralement qu’ils ne se plieraient pas à l’exercice, pour des raisons de sécurité.Malgré cela, on demanderait donc aux militants anti-corruption de rendre publics leurs revenus et patrimoine. Avec le risque que ces déclarations puissent être utilisées contre eux et leurs collaborateurs.Encore une raison de redouter un double-discours: les techniciens de ce système de déclarations en ligne ont récemment fait part de leur inquiétude à ne pas avoir la capacité technique de gérer la plateforme internet. Certains revendiquent une pause de quatre ans afin de développer un système plus performant. On peut s’imaginer que ce serait un sérieux coup porté aux efforts de transparence en Ukraine, et à la lutte contre la corruption.Mais pourtant, on avait l’impression qu’il y avait des progrès dans la lutte contre la corruption? Oui. Beaucoup a été fait ces trois dernières années. Le Bureau National contre la Corruption, en particulier, s’est imposé comme une institution indépendante. Son dernier fait d’arme a été l’arrestation du chef du service des impôts, un corrompu notoire et protégé du Président. Cela prouve qu’il y a des changements.Mais il n’empêche que la tendance n'est pas très encourageante. Le FMI, l’Union européenne et d’autres organisations internationales dénoncent la lenteur des réformes, et les blocages persistants de groupes d’intérêt. Les rivalités politiciennes vont s’aggraver avant les élections de 2019 et gripper la machine parlementaire. Et à travers le scandale actuel, c’est la synergie entre la société civile et les élus qui est remise en cause. Cette collaboration s'était révélée très fructueuse dans l'élaboration des réformes. Si elle laisse place à une situation de conflit, alors les espoirs de changement vont devenir de plus en plus hypothétiques.

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