Missiles nord-coréens & moteurs ukrainiens: les experts revoient leurs copies
Complément d'un commentaire sur une enquête du New York Times, parue le 14/08/2017La vague d'indignation aura été immédiate en Ukraine. The New York a établi, le 14 août, un lien direct entre les propulseurs de missiles intercontinentaux testés par le régime nord-coréen cet été, et la production de l'usine Youjmash, dans la ville industrielle de Dnipro (anciennement Dnipropetrovsk), dans le centre de l'Ukraine. L'allégation ne s'accompagnait pas de preuves irréfutables, et a été décriée comme une conclusion hâtive et une nouvelle manoeuvre de la guerre d'information contre l'Ukraine. L'usine Youjmash a démenti avec fermeté, appuyée par les autorités ukrainiennes. Les réseaux sociaux se sont enflammés. La levée de bouclier a poussé Michael Elleman, un expert cité par The New York Times à revenir sur ses propos, et à nuancer ses conclusions."Je ne crois pas que le gouvernement ukrainien a autorisé, ou même savait, que les moteurs provenaient d'Ukraine", a-t-il exprimé dans un tweet, le 14 août. "Au contraire, l'Ukraine a arrêté des Coréens du Nord en 2012!". La référence à un scandale d'espionnage industriel, suivi d'un autre en 2015, vise ainsi à dédouaner le gouvernement ukrainien de tout soupçon de contrebande avec un régime sous embargo.De fait, l'affaire est vécue avec gravité à Kiev. Alors que l'administration de Donald Trump étudie la possibilité d'entamer la livraison d'armes létales à l'Ukraine pour l'assister dans son effort de guerre, voilà que le pays serait rabaissé au rang d'Etat voyou, acteur des trafics illicites d'armes. Et ce alors que les relations entre Petro Porochenko et son homologue américain restent sensibles depuis l'élection américaine.En dédouanant le gouvernement ukrainien de potentiels trafics qui se seraient passés à son insu, Michael Elleman a saisi l'occasion pour relativiser les allégations du New York Times sur l'origine ukrainienne des moteurs de missile. "Que je sois bien clair sur la source des moteurs de Missiles Balistiques InterContinentaux de la Corée du Nord: "Youjnoe (Youjmash) n'est qu'une des sources potentielles. Il y en a d'autres possibles en Russie".De fait, dans le contexte de décomposition du complexe militaro-industriel soviétique depuis 1991, et du climat de guerre entre Russie et Ukraine depuis 2014, la traçabilité de moteurs de missiles est difficile à établir. Les éléments utilisés par Pyongyang auraient tout aussi pu venir de stocks russes, en particulier de l'usine Energomash, anciennement affiliée à Youjmash. Commentateurs et critiques font aussi valoir des évidences géographiques, concernant l'éloignement de l'Ukraine, et le fait que la Russie partage une frontière commune avec la Corée du Nord.Pour les réseaux sociaux ukrainiens, l'accent porté sur l'usine Youjmasz est une nouvelle manoeuvre dans la guerre d'information ukraino-russe qui fait rage depuis des années. D'aucun se sont empressés de souligner le passé russe de l'expert américain Michael Elleman - il y a travaillé de 1995 à 2001, à la tête du "Cooperative Threat Reduction Program" visant au démantèlement de missiles longue portée. Certains médias ukrainiens ont aussi fait leurs choux gras de son mariage avec une Russe, pour souligner son attachement à la Russie, et supposer de la subjectivité de son jugement. Des attaques personnelles, peu à même de prouver quoique ce soit, et encore moins de relever la qualité du débat.La prudence s'impose face à l'absence de preuves, qui viendraient confirmer ou infirmer les allégations du New York Times. Quoiqu'il en soit, l'affaire a bel et bien révélé que le régime nord-coréen a reçu et utilisé des technologies de partenaires étrangers (étatiques ou non) dans le développement de son programme de missiles intercontinentaux. Un échec grave de la communauté internationale, qui dépasse de loin le cadre du conflit ukraino-russe.