La Libre Belgique: L’Ukraine face à sa pire crise constitutionnelle
Article publié dans La Libre Belgique, le 11/11/2020
“A bas la cour corruptionnelle!” “Comment ça, un cadeau? C’est un pot-de-vin!” Les slogans sur les pancartes étaient lapidaires, ce 7 novembre devant une villa de la banlieue de Kiev. Une cinquantaine de policiers la protégeaient des mouvements d’une centaine de protestataires de l’ONG AutoMaidan. Une scène classique en Ukraine, où les maisons de ministres, fonctionnaires et procureurs supposés corrompus sont régulièrement assiégées. Cette fois, c’était Oleksandr Toupitskiy, premier des juges de cour constitutionnelle, qui était dénoncé comme “le nouvel ennemi public numéro 1, qui veut ramener l’Ukraine à l’âge féodal. Il ne sert pas le peuple ukrainien mais des oligarques et le Kremlin!”, s’époumonait le militant anticorruption Vitaliy Shabounin.
C’est depuis le 28 octobre que le pays est plongé dans une des pires crises constitutionnelles depuis la révolution de la dignité de 2014. 11 des 15 juges avaient alors invalidé le système des déclarations électroniques de patrimoine des fonctionnaires et élus. Depuis 2016, la publication des registres a révélé l’existence d’empires immobiliers, de collections de voitures et montres de luxe, ou encore la détention de montagnes d’argent liquide à l’origine non-déterminée.
Si ce système a été promu comme un pilier essentiel de l’architecture de lutte contre la corruption en Ukraine, ses révélations n’ont jamais mené à la moindre condamnation de grande ampleur. 6 ans après la révolution, l’Ukraine reste gangrénée par des pratiques opaques et un système politique politisé. Néanmoins, “les déclarations en ligne ont constitué une base de données unique pour la société civile”, commente Vitaliy Shabunin. L’entrée en activité, début 2019, d’une haute-cour anti-corruption, le laissait espérer les premières “condamnations sérieuses” d’ici quelques années. Sans oublier que ce système avait apporté des bénéfices directs à l’Ukraine: il était l’une des conditions de la libéralisation du régime de visas Schengen pour les citoyens ukrainiens, officialisé en juin 2017.
Autant d’espoirs et de progrès qui sont remis en cause par la décision de la cour constitutionnelle, d’autant qu’elle n’est qu’un épisode d’une longue série d’attaques contre les réformes post-2014 et les institutions anti-corruption.