RFI: En Ukraine, les pro-russes reviennent en force

Article publié sur le site de RFI, le 13/11/2020

Les élections municipales et régionales du 25 octobre, en Ukraine, ont officialisé une perte de vitesse du président Volodymyr Zelensky, pourtant élu en 2019 sur un raz-de-marée « dégagiste ». En revanche, une série de formations estampillées pro-russes ont réalisé de bons scores malgré le climat de guerre avec la Russie, alimentant les craintes d’une « revanche du Kremlin ». Par Sébastien Gobert.

Ce serait une « victoire triomphante », à en croire les dirigeants du parti Plateforme d’Opposition - Pour la Vie (POPV). Le 25 octobre, il est arrivé troisième au plan national, en prenant la tête dans six conseils régionaux et plusieurs dizaines de conseils municipaux de grandes et moyennes agglomérations, notamment dans l’est et le sud du pays. Le chef du parti, Viktor Medvetchouk, promeut une relation apaisée avec Moscou comme un moyen de résoudre la guerre qui dure depuis 2014 entre les deux pays. Il est en cela aidé par la relation personnelle qu’il entretient avec Vladimir Poutine, parrain de sa fille.

Les résultats de POPV s’associent aux succès d’autres partis politiques pro-russes au niveau local. Le parti du blogueur et trouble-fête affilié au Kremlin, Anatoliy Shariy, fait ainsi son entrée dans plusieurs assemblées locales, bien que lui-même vive en exil depuis des années, recherché par la police ukrainienne. Des barons régionaux russophiles, comme le très controversé Hennadiy Kernes à Kharkiv, ont aussi suscité une adhésion appréciable des électeurs. L’impression d’une vague pro-russe déferlant sur le pays semble donc irrésistible. Elle inquiète, alors que la Crimée reste annexée par la Russie, que l’Est en guerre demeure une plaie ouverte pour le pays, et que les réformes pro-occidentales semblent bloquées à Kiev. « La revanche du Kremlin est en marche », assène Andriy Smoliy, représentant du parti Solidarité européenne de l’ancien chef de l’État Petro Porochenko.

Pourquoi voter pro-russe?

Pour expliquer ce retour en force des partis estampillés pro-russes, les analystes avancent de multiples raisons. D’un point de vue structurel, il n’y a rien de surprenant: environ 30% de la population ukrainienne vit dans le paradigme du « monde russe », avance le politologue Serhiy Fours. Une nostalgie de l’URSS explique ce phénomène, autant que des liens économiques, culturels et familiaux. Depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, ce tiers doit composer avec un autre tiers d’Ukrainiens historiquement opposé à l’idée d’une Ukraine russophile. Au gré des élections et des révolutions, ces deux blocs se disputent le dernier tiers, véritable ventre mou de l’Ukraine.

En 2019, Volodymyr Zelensky avait suscité l’adhésion de 73% des électeurs, dont le tiers proche de la Russie et le tiers flexible, grâce à sa promesse de renouvellement politique et de cessation des hostilités dans l’Est. Un an plus tard, alors qu’un accord de paix semble toujours lointain, il fait face au mécontentement de la première catégorie. Selon un sondage du Centre de sociologie politique, 63% de la population de la région de Louhansk et 54% de la région de Donetsk, toutes deux déchirées par la ligne de front, considèrent que « la situation se tend de plus en plus ». Ces électeurs se tournent donc vers des personnalités amicales envers le Kremlin dans l’espoir d’avancées concrètes qui s’accompagneraient de nouvelles opportunités économiques.

Selon Konstantyn Reoutski, de l’ONG humanitaire Vostok-SOS, il s’agit d’une démarche pragmatique plus qu’idéologique. « Ces populations ne sont pas anti-ukrainiennes. Elles cherchent avant tout à retrouver le statu quo pré-2014 ». D’où leurs confiances renouvelées à des élites locales, pour beaucoup associées au régime autoritaire et corrompu de Viktor Ianoukovitch, déchu en février 2014. Des notables qui ont usé de leurs relations de clientélisme et de paternalisme pour séduire, voire acheter, des électeurs. « Les gens sont contents car ils reçoivent des paquets d’alimentation ou un nouveau terrain de jeu pour les enfants du quartier », se désole Konstantyn Reoutski. « Ils ne voient pas que c’est cette politique opaque qui avait provoqué, en partie, le conflit de 2014 ».

Une revanche relative

Maryna Romantsova, militante des droits civiques à Kramatorsk, dans l’Est, nuance cependant la réalité de la vague pro-russe. « En fait, ils ne font que remonter péniblement à leurs niveaux historiques », constate-t-elle. Malgré leur avance dans des dizaines de scrutins locaux, les partis estampillés pro-Kremlin doivent composer avec d’autres forces pour former des majorités. « Ils exerçaient avant 2014 un monopole absolu sur la politique de l’Est », rappelle la militante civique. « Cette époque est révolue ». De fait, dans les localités où les électeurs disposaient de l’alternative sérieuse d’un baron régional, c’est ce dernier qui l’a emporté. « Et le tableau aurait pu être bien différent si la participation avait été plus élevée », ajoute Andriy Blitchenko, sociologue du Centre Razoumkov. Le scrutin n’a mobilisé que 37% des électeurs.

En définitive, Konstantyn Batozskiy, directeur de l’Agence pour le développement de la région d’Azov relativise aussi cette notion de « revanche » des pro-russes. Reste que « le maintien de leurs scores dans les régions est une très mauvaise nouvelle pour Volodymyr Zelensky », déjà aux prises avec de sérieuses dissensions au sein de sa majorité au Parlement, et en guerre ouverte contre la Cour constitutionnelle pour préserver l’architecture du sytème de lutte anti-corruption. Les élections locales ne signent peut-être pas un changement radical d’orientation politique de l’Ukraine. Mais elles ne vont certainement pas faciliter l’agenda réformateur du président.

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