Analyse: En Ukraine, une fronde régionale face à la "quarantaine du weekend"
Pour éviter un reconfinement généralisé qui achèverait une économie ukrainienne suffoquante, l’exécutif a instauré une “quarantaine de weekend”, samedi et dimanche inclus. Celle-ci pourrait durer jusqu’à la fin de l’année, au moins. “On peut approuver cette décision ou non, mais on ne peut pas ne pas comprendre pourquoi elle a été adoptée: chaque jour, l’Ukraine bat un record de nouveaux cas de Covid-19”, s’est époumonné le président Volodymyr Zelenskyy dans une vidéo-selfie depuis sa chambre d’hôpital. Testé positif à la Covid-19, il est en auto-isolation depuis le 9 novembre. Et d’ajouter: “il n’y a pas de bonne solution face à cette pandémie. Il n’y a que des mesures douloureuses ou encore plus douloureuses. Regardez la France”.
Restaurants, bars, cinémas et autres commerces et activités non-essentielles doivent fermer tous les weekends. Le gouvernement promet un soutien des PMEs. Dans le monde des affaires, l’annonce est toutefois accueillie avec scepticisme car le filet de sécurité n’a pas été suffisamment dense lors du confinement de printemps.
Mais le gouvernement central fait face à plus que du scepticisme: la révolte gronde dans plusieurs villes du pays. Le maire de Tcherkassy Anatoliy Bondarenko, principal frondeur dans les régions lors du premier confinement, a indiqué que le budget municipal avait “subi un manque à gagner de 5,1 millions d’euros pendant la 1ère vague. Sur la 2ème, nous avons dépensé environ 3,12 millions. Sans recevoir aucun soutien du gouvernement”.
Fidèle à ses habitudes de tourner autour du pot, le maire de Lviv, Andriy Sadoviy, a tout simplement annulé le weekend, en faisant du samedi et dimanche des jours ouvré. De cette manière, “il ne peut y avoir de quarantaine de weekend chez nous”. Pourtant, la police nationale a empêché les activités de marchés municipaux, samedi 14 novembre. La querelle pourrait être un signal supplémentaire de la fin du règne d’Andriy Sadoviy, en poste depuis mars 2006. Il jouera sa quatrième réélection le 22 novembre.
Le maire de Dnipro, Boris Filatov, a joué une carte certes moins originale mais tout aussi efficace: le directeur de la commission municipale de santé publique et de protection de l’environnement est en arrêt maladie. “La commission ne peut pas siéger, et il n’y a personne pour signer de décision”.
En plus de Tcherkassy et Lviv, Ivano-Frankivsk, Jytomyr, Dnipro, Tchernihiv, Loutsk et Ternopil ont refusé d’appliquer des mesures de “quarantaine de weekend”. Dans cette dernière ville, un restaurateur a procédé au ré-enregistrement de ses deux restaurants pour en faire une "Confrérie des Chauves", soit une organisation religieuse, non-soumise aux interdictions administratives.
Taras Kovaltchouk et sa Fraternité des Chauves.
Dans cette même perspective, la chaîne de magasins "Epitsentr" a transformé ses vendredis "en journées de 72 heures". A Kiev, le club de sport de l'ancien président Petro Porochenko, "5 Element", a été perquisitionné par la police pour violation du confinement. Fidèle lui aussi à ses habitudes, Petro Porochenko n'a pas manqué de dénoncer une "persécution politique".
Pour Volodymyr Zelenskyy, ces fraudes ne sont rien d'autre que des manoeuvres électorales, en plus d’attitudes irresponsables. “Ces maires ne pensent pas au nombre de nouveaux cas, mais au nombre de voix lors du 2nd tour des municipales”. Querelles électorales mises à part, l’affaire inscrit l’Ukraine dans une tendance européenne de défiances régionales vis-à-vis des décisions des pouvoirs nationaux pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Elle trahit aussi les difficultés structurelles de l’Etat à imposer des décisions uniformes sur l’ensemble du territoire. Une problématique aussi vieille que l’indépendance du pays.