Analyse: L'idée d'une (ré)unification de la Roumanie et de la Moldavie est-elle encore valable?
La photo d'illustration montre les bureaux du Parti Libéral dans le centre-ville de Chisinau. Cette formation politique soutient le projet d’une (ré)unification de la Moldavie et de la Roumanie. Cette ambition est ancienne. Elle entend raviver une continuité historique entre les populations roumanophones des deux côtés du Prout, autrefois unies dans la Roumanie de l’entre-deux guerres.
L’idée est instrumentalisée depuis la chute de l’URSS. Elle sert de repoussoir aux nostalgiques de l’époque communiste et partisans d’une intégration dans l’Union eurasiatique. La perspective d’une réunification fait aussi office de fantasme pour les observateurs occidentaux (dont beaucoup de Roumains) qui ne perçoivent la Moldavie qu’à travers le prisme est-ouest.
L’idée ne fait cependant plus recette en Moldavie même. Un récent sondage de l’institut Barometrul Electoral 2020 établit que seuls 30,4% des répondants souhaitent une unification avec la Roumanie. Le leader du mouvement “Unirea - Union”, Dorin Chirtoacă (ancien maire de Chisinau, inquiété en 2017 pour corruption), est arrivé bon dernier à la récente élection présidentielle, avec 1,20% des voix.
Les raisons du désintérêt des Moldaves pour ce projet sont multiples. En premier lieu, le souvenir des divisions de la guerre de Transnistrie en 1992, pendant laquelle la question avait été diabolisée. Ensuite, les différences structurelles dans les expériences collectives moldaves et roumaines depuis la seconde guerre mondiale (URSS vs. république populaire, russification de la Moldavie, révolution de 1989 en Roumanie, etc.). L’intégration européenne de la Roumanie, membre de l’UE depuis 2007, creuse encore un fossé en termes de développement entre les deux pays. Enfin, l’idée a perdu une partie de sa charge idéologique suite à la politique de “passportisation” roumaine vis-à-vis des Moldaves: plus d’un million d’entre eux (plus d’un tiers de la population) se sont vus décerner la citoyenneté roumaine grâce à une procédure simplifiée. Une opportunité pour les Moldaves d’accéder à des avantages économiques, politiques et pratiques (liberté de circulation) sans devoir trancher l’épineuse question de l'unification.
Pour en lire plus sur la genèse des enjeux identitaires et géopolitiques en Moldavie, lire l’excellent entretien d'Andrei Cușco, professeur d’histoire à l’Université d’État « Ion Creangă » de Moldavie et auteur, en 2017, aux presses de l’Université d’Europe centrale de Budapest (CEU), de l’ouvrage A Contested Borderland. Competing Russian and Romanian Visions of Bessarabia in the Late Nineteenth and Early Twentieth Century. Propos recueillis par Matthieu Boisdron pour Le Courrier d’Europe Centrale.