LLB: Dans le Donbass, New York tremble sous les bombes

Article publié dans La Libre Belgique, le 06/04/2022

Petite ville industrielle au nom atypique, New York se retrouve, comme l'ensemble de l'est de l'Ukraine, sous la menace des prochaines offensives russes. Alors que les troupes d'invasion concentrent leurs efforts sur la région, les civils fuient en masse.

“La ville est toujours à nous. Mais nous avons du partir. Cela devenait trop dangereux…” L’ancienne bourgmestre-adjointe de New York Tetiana Krasko s’est résolue à quitter sa ville le 20 mars. Trois semaines après le début de l’invasion russe. Huit ans après le début de la guerre du Donbass. Depuis le printemps 2014, Tetiana Krasko a vécu accolée à la ligne de front, du côté contrôlé par les forces ukrainiennes, à la merci des bombardements réguliers qui déchiraient la nuit. “C’était huit ans de stress et de peur… Mais on vivait chez nous. Là, c’est trop”. Désormais en lieu sûr dans le centre-est de l’Ukraine avec sa famille, elle attend. “Je cherche à faire quelque chose d’utile, mais je ne sais pas quoi…”

Le changement est rude pour l’abeille ouvrière qu’est Tetiana Krasko. Pendant des années, elle, son équipe municipale et un groupe d’habitants se sont mobilisés pour redonner vie à leur ville de 10 000 habitants. Novhorodske (traduit littéralement par “Nouvelle ville”) était alors une localité déprimée, aux façades décrépies, aux routes défoncées traversées par des convois militaires et à la population vieillissante. Mais la mobilisation de la communauté pour retrouver le nom historique de la ville, New York, a fait souffler un vent d’espoir.

New York, c’est à l’origine une colonie habitée par des Allemands mennonites invités par les tsars de Russie pour développer des territoires nouvellement conquis. L’origine du nom s’est perdue dans les méandres de l’histoire et nourrit de nombreuses légendes. Il est en revanche établi que New York était, au tournant du XXe siècle, un pôle de modernité dans la région. Les Allemands y disposaient d’un télégraphe, d’une banque, d’une librairie, d’une école pour garçons et filles… Une prospérité qui souffre des guerres, famines et persécutions de la première moitié du siècle avant que Moscou décide, en 1951, de faire disparaître New York de son territoire en la renommant Novhorodske.

Pour une population meurtrie par le déclin industriel des années 1990 et le début de la guerre en 2014, retrouver le nom de New York a donc signifié “nous réapproprier notre passé, retrouver un sentiment de fierté, attirer des touristes et des investisseurs, donner des perspectives aux jeunes…”, explique Karina Varfolomeïva, jeune artiste et étudiante, très impliquée dans le renouveau de la communauté. Elle et sa troupe de théâtre ont monté plusieurs spectacles dans des salles prestigieuses du pays afin de raconter à leurs compatriotes leur quotidien en zone de guerre. Un drame désormais quotidien pour l’immense majorité des Ukrainiens.

L’activisme de Tetiana Krasko et de bien d’autres a permis d’obtenir le soutien politique et financier pour reconstruire une ancienne maison allemande, un centre pour retraités, une salle de gym ou encore pour organiser toute sorte d’évènements festifs. Portée par son nom, la New York ukrainienne a hébergé un festival de littérature internationale ou encore un “marathon de New York” populaire à travers tout le pays. Dans la région, des dizaines de localités avaient décidé de “tourner la page des traumatismes” et de saisir les opportunités offertes par la forte présence d’organisations humanitaires et par le soutien de l’Etat, expliquait, en 2018 à La Libre, le gouverneur de région Pavlo Jebrivskiy. Kramatorsk, Avdiivka, Severodonetsk, sans oublier Marioupol, étaient devenues des villes dynamiques et attrayantes, malgré la proximité d’une ligne de front active.

“Aujourd’hui, il ne reste que quelques vieux à New York. Je ne sais pas qui va en prendre soin…”, se lamente Tetiana Krasko. L’exode de civils observé à New York est général dans la région. En évacuant ses troupes du nord de l’Ukraine, l’armée russe a annoncé vouloir concentrer ses offensives sur l’est. Une menace prise très au sérieux dans la mesure où 90% de la région de Louhansk est d’ores et déjà occupée. Dans le cas où les attaques russes débouchent sur plus de gains territoriaux, une des principales propagandistes du Kremlin, Olga Skabaïeva, a déjà annoncé: “cette New York… sera évidemment rebaptisée Novhorodske après la ‘libération’”.

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