Analyse: Coronavirus et libertés, la consolidation du système Avakov?

Le tout-puissant ministre de l’intérieur semble tirer son épingle du jeu, sans toutefois remettre en cause la pluralité de la scène politique ukrainienne.

Par Fabrice Deprez et Sébastien Gobert

En Europe centrale et orientale, dans le Caucase, dans les Balkans : la crise sanitaire causée par le coronavirus est parfois une aubaine pour réduire les libertés individuelles et publiques. Daleko-Blisko fait un tour d’horizon des situations les plus sensibles.

La question de l’impact de l’épidémie de coronavirus sur les libertés publiques s’est en Ukraine largement concentrée autour de la sulfureuse figure d’Arsen Avakov, puissant ministre de l’intérieur en place depuis 2014. C’est en effet lui qui, à la fin du mois de mars, s’est ouvertement prononcé en faveur d’une introduction de l’état d’urgence, déclenchant au passage une passe d’armes au sein de l’appareil d’Etat ukrainien. La société civile a observé pendant plusieurs jours et avec nervosité une personnalité considéré, grâce à son contrôle des forces de l’ordre, comme l’une des plus influentes du pays, se faire l’avocat d’une mesure qui permettrait la restriction de plusieurs libertés constitutionnelles. Le débat a, d’après le site d’information ukrainien Oukrainska Pravda, fait rage jusqu’au sommet de l’Etat, avant que le président Volodymyr Zelensky ne tranche en défaveur d’une introduction de l’état d’urgence. Le gouvernement ukrainien a annoncé le 25 mars une “situation d’urgence” à travers le pays, une mesure qui, si elle renforce les pouvoirs des autorités notamment pour réaliser des contrôles sanitaires, reste en deçà de l’état d’urgence. Mais le pays n’en est encore qu’au début de l’épidémie, avec 549 cas officiellement confirmés — un décompte certainement incomplet, moins de 3000 tests ayant été réalisés. Dans un contexte politique marqué par l’érosion de l’autorité du président, une explosion de l’épidémie pourrait très rapidement remettre sur la table la question des libertés publiques et de leurs restrictions.

Dans ce contexte incertain, le sociologue et éditorialiste Oleh Pokaltchouk rappelle que l’Ukraine est traditionnellement protégée des tentations autoritaires par la pluralité de son oligarchie et de son spectre politique. De plus, les libertés fondamentales, l’indépendance de la justice et la transparence du pouvoir exécutif sont des notions plus relatives en Ukraine que dans les Etats-membres de l’Union européenne. Il note ainsi, non sans ironie: “la démocratie n’existe pas en Ukraine au sens propre du terme. Aussi rien ne peut la menacer”.

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