Analyse: Le “Président idéal” sur les écrans ukrainiens se lance dans une campagne très réelle

Un beau matin de printemps, Vasyl Holoborodko se réveille dans l’appartement de la banlieue de Kiev qu’il partage avec ses parents. Le professeur d’histoire se prépare à se rendre à son lycée quand on sonne à la porte: c’est le premier ministre, escorté de plusieurs gardes du corps menaçants, le salue en souriant: “Bonjour, Monsieur le Président”. Un élève avait posté une vidéo en ligne, dans laquelle le professeur se répandait dans une colère injurieuse contre l’élite corrompue et incompétente du pays. Elle a suffi pour monter une campagne électorale financée par du crowd-funding, qui l’a fait triompher dans les urnes à son insu. Après quelques épisodes d’hésitation, Vasyl Holoborodko revêt le costume de chef de l’Etat, et s’embarque dans une mission sacrée pendant deux saisons à rebondissement: nettoyer la classe politique, en finir avec la corruption, et faire de l’Ukraine un pays européen, moderne, juste, et développé.

S’il y a des traits de sa personnalité que l’acteur Volodymyr Zelenskiy veut communiquer au grand public, ce sont précisément ceux de Vasyl Holoborodko, qu’il incarne à l’écran dans la série très populaire “Sluga Naroda – Le Serviteur de l’Etat”. Ceux d’un homme honnête et sincère, affable et déterminé, dont les slogans populistes se transforment par des actions concrètes en faveur du peuple, qui se lance, cette fois pour de vrai, dans la course à la présidentielle du 31 mars prochain. De fait, l’acteur a beau être l’un des plus en vue de sa génération, et omniprésent dans le cinéma, le théâtre, les publicités et la télévision ukrainiens, on sait peu de choses de l’homme, et encore moins de son programme.

Né en 1978 à Kriviy Rih, une ville industrielle du centre du pays, il suit des études de juriste. A Kiev pour prendre la tête du studio “Kvartal 95”, un studio de comiques hérité des KVN soviétiques, acronyme russe pour les “clubs des gens drôles et inventifs” des années 1980. D’une représentation à une autre, sa popularité s’accroit. Il étoffe sa carrière dans les hautes instances de la chaîne de télévision “Inter” et “1+1”, respectivement contrôlées par Dmytro Firtash et Ihor Kolomoiskiy, deux oligarques à la réputation sulfureuse. Ce qui ne l’empêche pas de soutenir la révolution du Maïdan en 2014, et l’armée ukrainienne dans la guerre qui a suivi. C’est son rôle dans “Sluga Naroda” qui en fait l’émanation d’une personnalité morale pure, du chef de l’Etat idéal que les Ukrainiens attendraient depuis l’indépendance en 1991. La troisième saison de la série, si populaire que la chaîne américaine FOX en a acheté les droits d’adaptation doit d’ailleurs être diffusée début mars, quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Depuis l’annonce surprise de sa candidature, quelques minutes avant les douze coups de minuit le 31 décembre, ses interventions reprennent les codes de “Sluga Naroda”, du ton de voix de Holoborodko au célèbre tintement de la sonnette du vélo que l’acteur utilise pour se rendre à son bureau de président. “Votre sexe, religion, éducation, et la langue que vous parlez, ça n’est pas important”, lance-t-il de sa désormais mythique voix caverneuse dans une vidéo, en mélangeant le russe et l’ukrainien. “Ce qui est important, c’est que vous n’ayez jamais fait de politique”. Un appel qui le dédouane de son manque d’expérience, et qui séduit déjà: au 4 janvier, plus de 337.000 personnes s’étaient inscrites en ligne comme “membres” de son équipe de campagne.

Sa candidature complique nécessairement le jeu politique, notamment les chances de réélection de Petro Porochenko. Il le “trolle” d’ailleurs allègrement, en prenant sa place sur les écrans le soir du 31 décembre, ou en reprenant son invitation de 2014 “Allez, on le fait ensemble!” Il lui reste cependant peu de temps pour définir un programme clair, et se distancer du puissant patron de sa chaîne 1+1, Ihor Kolomoiskiy. L’oligarque en disgrâce est un des ennemis jurés du Président actuel.

Volodymyr Zelenskiy assène son indépendance, et assure n’être “l’homme de personne. Il ne peut cependant pas nier la relation personnelle qu’il entretient avec Ihor Kolomoiskiy. Plusieurs journalistes d’investigation ont repéré leurs fréquentes rencontres à Genève. Les sondages placent Volodymyr Zelenskiy en troisième, voire seconde place, pour la présidentielle. Son parti politique “Sluga Naroda” pourrait entrer au Parlement en octobre. L’acteur doit néanmoins prouver aux Ukrainiens qu’il se veut bien le “serviteur du peuple”, et non un simple instrument de diversion dans une guerre politico-oligarchique.

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