France Culture: 4 ans après, les enquêtes de Maïdan gelées

Papier diffusé dans les journaux de la matinale, sur France Culture, le 21/11/2017

Il y a 4 ans, le 21 novembre 2013, se tenait à Kiev la première manifestation de ce qui allait devenir la Révolution de la Dignité. Quatre ans plus tard, les espoirs soulevés par la vague révolutionnaire semblent presque retombés. Hier, les enquêtes sur les fusillades meurtrières de Maïdan ont été officiellement gelées, et les autorités sont soupçonnées de vouloir étouffer la lutte anti-corruption. A Kiev, Sébastien Gobert

Près de 100 révolutionnaires et des policiers avaient connu une mort violente sur Maïdan pendant l’hiver 2013-14. Les autorités issues de la Révolution avaient promis de rendre une justice impartiale et exemplaire. Quatre ans plus tard, les familles des victimes sont toujours sans réponses claires Et elles risquent d’attendre longtemps: les enquêtes viennent d’être gelées, en raison d’obstacles législatifs. Un procureur spécial au sein du Bureau du Procureur Général avait autorité pour mener les enquêtes jusqu’au 20 novembre. Ni le Parlement, ni le Président Petro Porochenko, n’ont trouvé le temps de prolonger cette date limite. Le Procureur Général Iouriy Loutsenko s’est empressé d’organiser une conférence de presse, ce 20 novembre, pour rassurer son auditoire. A contre-courant des critiques, il a affirmé que “2017 a été l’année la plus productive” dans le cadre des enquêtes de Maïdan. Il a annoncé que 380 personnes avaient été mises en examen. 270 d’entre elles seraient en cours de procès, et 49 en maison d’arrêt. Et de promettre des résultats très prochainement. Il reste que Iouriy Loutsenko est lui-même très critiqué pour son incompétence, voire pour sa complicité dans le gel des enquêtes. Ses déclarations, beaucoup les assimilent à des effets d’annonce dont il a le secret. Des promesses qui cachent souvent des enquêtes bâclées et des procès politisés. Plusieurs représentants de la société civile et défenseurs des familles des victimes ont déjà accusé le ministre de l’intérieur Arsen Avakov d’avoir entravé le travail des enquêteurs. Les autorités ukrainiennes sont soupçonnées de vouloir enterrer les affaires liées à la Révolution, afin de protéger des policiers, fonctionnaires et magistrats, toujours actifs dans l’appareil d’Etat.

Avec ces enquêtes sur les tueries de Maïdan, ce sont aussi celles sur les abus de corruption de l’ancien régime de l’autoritaire Viktor Ianoukovitch qui se retrouvent gelées, et menacées de ne pas aboutir. En vertu de cette date limite du 20 novembre, le Bureau du Procureur Général doit abandonner 3500 investigations, et les transférer au Bureau Anti-Corruption, le NABU, qui ne compte que 200 détectives. Le NABU, reconnu comme une institution réellement indépendante, a depuis longtemps fait part de son incapacité à s’occuper de ces affaires, en plus des cas qu’il traite en ce moment. Ces derniers sont des affaires de corruption concernant des personnalités très contemporaines, opposants ou soutiens de Président Petro Porochenko. Entre autres, le NABU a ouvert une enquête sur un possible “enrichissement personnel” de Iouriy Loutsenko. De là à penser que le Procureur Général cherche à bloquer le travail dérangeant du NABU, il n’y a qu’un pas. Entre ces deux institutions, et d’autres organes de la lutte anti-corruption, la guerre semble déclarée, reflet des tensions politiques qui s’accentuent à l’approche des élections présidentielles de 2019. Les affrontements sont féroces, et qui paralysent le travail du système judiciaire. L’espoir  d’une justice efficace, transparente et indépendante, pour laquelle les Ukrainiens avaient combattu sur Maïdan, semble plus lointain que jamais.

Previous
Previous

RFI: Guerre de gangs et coup d’Etat

Next
Next

RFI: Le e-commerce a le vent en poupe en Ukraine