France Culture: une milice ultra-nationaliste pour patrouiller les rues d’Ukraine?
Reportage diffusé dans les journaux de la matinale, sur France Culture, le 18/02/2018
Le 28 janvier, 600 hommes en uniforme défilaient dans le centre de Kiev, la capitale ukrainienne dans une marche militariste, aux tons des années 1930. Les Natsionalniy Droujyny, traduite par “Brigades”, ou “Milices Nationales”, sont une milice paramilitaire née du bataillon ultra-nationaliste Azov. Dans un pays en guerre depuis 2014, les formations paramilitaires, plus ou moins radicales, font “partie du paysage”. Mais les Droujyny inquiètent: ils se donnent pour mission de garantir l’ordre public dans les rues, et pourrait devenir un contre-pouvoir à l’autorité de l’Etat… Sébastien Gobert les a suivi dans la banlieue de Kiev.
Le but ce soir, c’est d’intimider. Sur un ordre de leur chef, une vingtaine d’hommes investissent un petit casino de Boryspil, dans la banlieue de Kiev. Ils sont jeunes, pour certains mineurs. Tous sont sportifs et musclés, l’air grave, et silencieux. Pas besoin de violence: en un instant, tous les clients désertent les lieux, laissant les employés hébétés. Maksym est un membre de ces Droujyny.
Maksym: Ce casino a perdu sa licence en 2014, il opère illégalement. Et la société dont il dépend est liée à la Russie. Elle finance la guerre à l’est. Alors il faut le fermer. Nous avons appelé la police et nous attendons.
Avec cette démonstration de force, les Natsionalniy Droujyny accusent en fait que la police de ne pas faire son travail. Pour autant, un autre militant, surnommé “Samson”, assure qu’il n’est pas question de s’imposer comme un contre-pouvoir.
Samson: Nous pensons que la police a besoin d’aide. La police est une organisation très jeune, qui a été réformée il y a moins de 3 ans. Elle n’est pas encore très affirmée.
Quelques minutes plus tard, Samson vient s’excuser: les Droujyny ont changé de plan, et ils s’en vont.
Samson: Nous avons autre chose à faire, plus important… Nous sommes une jeune organisation, vous comprenez. On ne peut pas s’occuper de tout, et il faut établir des priorités, pour garantir l’ordre et protéger les familles. Nous reviendrons ici, je peux vous l’assurer.
L’occupation du casino et ce départ précipité donnent un air absurde à la scène. Peut-être ces jeunes viennent de recevoir des consignes contradictoires? Peut-être ont-ils compris que la police ne soutiendrait pas leur accusation? Peut-être voulaient-ils juste “passer le temps” en intimidant autour d’eux? Igor, employé du casino, en plaisanterait presque. Mais il a vécu cette soirée comme une agression.
Igor: Nous avons tous les documents, tout est en règle. Ce qu’ils viennent de faire, ça n’a pas de sens. Je suis réellement choqué.
La police arrivera plus de 30 minutes après le début de la scène. Pour l’officier Vitaliy Droujenko, il n’y a plus rien à constater.
Vitaliy Droujenko: La license du casino est en règle… Je ne sais pas ce que ces gars sont venus chercher, et maintenant ils sont partis… D’une manière générale, j’ai du mal à comprendre ce que sont ces Droujyny.
Atteinte à l’ordre public? Pression sur une entreprise privée? Création de potentiels conflits violents? L’officier ne s’affole pas pour autant. Au plus haut niveau de l’Etat, le ministère de l’intérieur a offert des réponses circonspectes à l’apparition des Drujyny. Une coopération, pourquoi pas? Mais il faut respecter l’autorité de la police avant tout. Pourtant, policiers et Droujyny se sont déjà opposés dans des combats de rue violents.
Et Les Droujyny, et Azov en général, inquiètent: Ce sont des formations d’une extrême-droite dure, avocates d’un nationalisme radical et total, si ce n’est totalitaire. Stanislav Zozulia est un jeune Ukrainien libéral qui manifeste contre les Droujyny.
Stanislav Zozulia: Quand ils parlent de faire régner l’ordre dans la rue, on comprend que cela veut dire recourir à la force. Si on laisse passer ça maintenant, alors ils vont se légitimer, et s’autoriser à faire justice eux-mêmes.
Mais ce début février, ils n’étaient qu’une vingtaine à manifester dans le froid de Kiev. Les Ukrainiens attendent des faits pour comprendre ce que sont les Droujyny. Mais pendant ce temps, eux se développent, et l’ont déjà prouvé: ils n’ont pas besoin du soutien populaire pour agir.