RTS: 4 ans après les massacres de Maïdan, une seule personne en prison
Reportage diffusé dans le journal de 12h30, sur la RTS, le 20/02/2018
De novembre 2013 à fin février 2014, à Kiev, en Ukraine, les manifestations contre le régime autoritaire du Président Viktor Ianoukovitch avaient causé la mort de plus d’une centaine de personnes. Le pic de violence était du 18 au 20 février. Suite à la victoire de cette révolution, une des attentes principales des Ukrainiens était d’établir justice et de punir les coupables de ces crimes. Mais 4 ans plus tard, les enquêtes sont bloquées. Une seule personne est en prison. Une large partie de l’opinion publique est indignée, et les autorités, très critiquées. Sébastien Gobert à Kiev
Par terre, des faux morts. Et dans les bras, des portraits des vrais morts. Sur l’allée “des Héros de la Centurie Céleste”, dans le centre de Kiev, ils sont une trentaine à organiser une flashmob sinistre, le 18 février. C’est ici qu’ont eu lieu les pires tueries en 2014. Darya Koultchinska est l’une des coordinatrices.
Darya Koultchinska: Nous n’oublierons pas. Nous sommes les familles, les proches des victimes. Nous n’avons pas le droit d’oublier ce qu’il s’est passé en 2014.
Au-delà de l’émotion, c’est aussi de l’amertume qui s’exprime. 4 ans après, Serhiy Horbatiouk, procureur spécial pour ces crimes, explique que 418 personnes sont soupçonnées d’avoir pris part dans les massacres, et 258 ont déjà été mises en examen. Mais il reconnaît un manque de résultat.
Serhiy Horbatiouk: Nos enquêtes et procès ont conduit à 50 condamnations en justice. Mais seulement deux ont reçu des peines de prison ferme. Et de fait, une seule est en prison aujourd’hui.
L’autre personne, un voyou à la solde de l’ancien régime reconnu coupable de meurtre, a déposé un appel, qui s’éternise. Roman Tytykalo est un avocat de familles de victimes. Il constate la complexité et les blocages de ces affaires.
Roman Tytykalo: Beaucoup de travail a été fait. Mais la plupart des cas restent bloqués dans les tribunaux. Les juges soit trouvent que c’est trop compliqué, soit manquent d’éléments, soit ne veulent pas avancer…
De nombreux suspects ne sont plus en Ukraine, et de nombreux éléments de preuve ont disparu dans le tumulte de 2014. Mais il pourrait y avoir plus grave. Les autorités issues de la Révolution sont soupçonnées par beaucoup de bloquer les enquêtes. Soit pour protéger des policiers encore actifs dans les forces de l’ordre, soit pour protéger des anciens révolutionnaires. Certains d’entre eux étaient aussi armés.
Le 18 février, lors de l’ouverture d’une exposition dédiée aux “Héros de Maïdan”, le très controversé Procureur Général Iouriy Loutsenko a voulu contrer les critiques, et redonner une perspective à la justice.
Iouriy Loutsenko: Je peux enfin annoncer que nous avons le feu vert pour initier un procès spécial pour juger ceux que nous soupçonnons d’avoir ordonné les tirs sur les révolutionnaires. Sur la base de plus de 300 éléments de preuve que nous avons collecté, Ianoukovitch et ses compères seront déférés en justice.
Pour beaucoup, c’est là un effet d’annonce. L’avocat Roman Tytykalo.
Roman Tytykalo: Un des problèmes, c’est que la plupart des accusés ne sont pas en Ukraine. Viktor Ianoukovitch lui-même n’est pas en Ukraine. On ne sait pas ce que ces procédures vont donner. Mes clients sont nerveux car personne ne comprend ce qui se passe…
Cette nervosité, elle est palpable dans les critiques émanant de la société ukrainienne. L’exigence de justice était l’une des demandes fondamentales de Maïdan. Elle est devenue le symbole des espoirs déçus.
Sébastien Gobert, pour RTS Info, à Kiev